Je porte la main à mon bas ventre et la retire couverte de sang. Il m’a clairement pas loupé celui-là. Je me raccroche à un réverbère et ferme les yeux. Allons. J’ai déjà survécu à pire. Un coup de corne dans le bas ventre, ça ne va pas me tuer. Si ? Est-ce qu’elle était empoisonnée, cette corne ? Non… Je ne pense pas. Et puis, je me suis volontairement empoisonné et guérit des poisons de démons depuis un sacré moment. Mon corps est résistant. Je fais une passe de la main au-dessus de mon ventre tout en grommelant des mots incompréhensibles pour chasser la douleur. Mais, depuis que j’ai réussi à m’échapper de cette cage où j’ai passé les trois derniers jours, j’ai déjà bien trop abusé de ce sortilège. Il n’est quasiment plus efficace. Il faut que j’arrive chez moi, et vite. C’est plus proche que l’Institut et j’y ai ce qu’il me faut pour me soigner. A l’ancienne.

C’est au moment où je reprends mon chemin que je manque de tomber sur le sol et que des bras que je n’avais pas vus me rattrapent. Je relève les yeux sur Jayden, qui se trouve là sans que je ne comprenne pourquoi ni comment. Je l’observe droit dans les yeux et inspire un grand coup. Tu m’accompagne chez moi ? Ce sera la première fois qu’elle y entre. Il y a des cercles démoniaques tracés avec du sang – mon sang – dans le salon. Elle va prendre ses jambes à son cou, c’est moi qui vous le dit. Je t’explique là bas. Au bout de la rue, on tourne à droite, puis encore à droite. Je lui laisse taper le code de l’entrée et nous entrons dans la cours. Premier immeuble, premier étage, un petit appartement sympathique. Tant qu’on reste dans l’entrée. Fais comme chez toi… Je la plante là pour entrer dans la cuisine. Je pousse la vaisselle sale de l’évier et fais couler de l’eau chaude avant d’attraper une pile de serviettes sur la table, juste à côté du fil et de l’aiguille que j’ai utilisé la dernière fois que j’ai mis les pieds dans cette pièce pour me recoudre la cuisse. Trois gorgées de Vodka et j’imbibe un chiffon de vodka et désinfecte la plaie à l’arrache avant de la recoudre comme je peux, à force de jurons et grognements.

Une voix me sort de la douleur dans laquelle je me suis plongé tout seul comme un grand en décidant de me recoudre tout seul. Hors de question. Ils vont vouloir me droguer ou pire, utiliser leurs pouvoirs sur moi.Je déteste les pouvoirs. Je ne supporte pas qu’on applique la moindre magie sur moi. C’est bien pour ça que j’ai fait en sorte de me protéger contre tout ça. Personne ne peut appliquer la moindre magie sur moi sans que le sort ne se retourne contre lui. La p’tite Partition qui m’a longtemps servie d’assistante l’a vu à ses dépend en essayant de réparer un nez cassé. Je grogne quand la demoiselle s’approche de moi pour regarder, mais je la laisse cependant faire. Elle n’a pas tort. Je sais que ça s’infectera. Nettoyer une plaie de la sorte à la vodka n’est pas réellement la meilleure des choses à faire. Vraiment pas. J’me suis fait embrocher par un démon qui refusait que je m’empare de… Je m’arrête et tends la main vers ma veste sur le sol. Merde, est ce que je l’ai au moins ? Je soulève avec ma télékinésie la veste et la fait venir jusqu’à moi. Je fouille la poche et en sort un bracelet en or massif avec quelques pierreries dessus. Il appartenait à Cléopâtre. Chargé de la magie des serpents qui l’ont tuée. Par magie je sous-entends poison. C’est un sacré objet, et hors de question qu’il reste à la portée des démons. Joli hein ? Je pose l’objet sur la table alors que Jayden se met à parler de bandage. Dans la salle de bain je crois. Je fais un geste vers la porte, l’air de dire « débrouille toi ».

La demoiselle me laisse pour aller faire le tour de l’appartement et trouver la salle de bain. J’en profite pour retirer totalement ma chemise en lambeaux et pour la jeter dans la poubelle. Je passe tellement peu dans cet appartement que je me demande bien à quoi ça sert que je continue à le garder. Certainement à me permettre de me recoudre tout seul sans qu’une de ces tarées de l’infirmerie ne vienne me balancer son foutu savoir et ses grands discours sur mon inconscience à la figure. Ashley en tête de liste. Cette femme est une vraie teigne. Au moins, quand je vivais dans mon hôpital psychiatrique, j’avais juste l’infirmière cul-serré sur le dos. Ici, j’ai la moitié de l’infirmerie dès que je bouge le petit doigt. N’importe quoi.

Je baisse les yeux vers la blessure et fais une grimace. Clairement, c’est pas passé loin cette fois. Heureusement que les membres de ma famille sont solides. Genre, vraiment solides. J’avale une gorgée de vodka et fais la grimace. La prochaine fois, je la fermerais mieux. Elle est éventée cette bouteille.

Les minutes passent et je finis par me lever pour aller chercher Jayden. Elle n’a quand même pas pu se perdre ? vu qu’il y a de la lumière dans le salon, c’est là que je me dirige en premier et je m’arrête sur le seuil, prêt à lui expliquer pour les cercles. Mais, je me fige totalement lorsque je la vois blanche comme un linge, en train de tenir une vieille photo que j’ai gardée à la main. Une photo de ma cousine et moi, à une époque où nous étions encore heureux et unis. Avant que je ne fasse tout foirer avec mes conneries. Bon, elle s’est vengée en me faisant interner, on devrait être quittes non ? La question qu’elle me pose concerne d’ailleurs cette photo et non les cercles d’exorcisme tracés avec mon sang sur le sol et les murs.

Voilà une autre raison pour garder cet appartement. J’ai pas assez de place pour tous les mettre dans mon bureau, et il parait que ça fait peur aux gamins qui viennent me voir.

Je fronce les sourcils et m’approche d’elle pour lui prendre la photo des mains. Une part de moi a envie de la rabrouer et de lui dire que fouiller c’est mal, mais pour le coup je crois bien que je ne suis pas sûr d’en avoir envie. J’observe l’image et mon visage s’éclaire d’un sourire triste. C’est un souvenir de l’époque où je n’avais pas encore réussi à tout foirer dans ma vie. Un idéal à atteindre. Des choses à réparer. C’est pour ne pas oublier, aussi.

Et c’est la raison pour laquelle je le cache. Ma voix est glaciale. Je suis un exorciste. L’une des très, très rares personnes à être constamment traquée par les démons parce que capable de leur tenir tête. Un Constantine, par-dessus le marché, la branche principale et la plus puissante des exorcistes. Et, je ne dois pas laisser les gens l’apprendre. Un mot de trop, un seul, et je risque de finir avec plus de démons sur le dos que je ne pourrais en supporter. Toute magie a ses limites. Parce que tu ne m’a pas menti toi peut être ? Il n’y a que peu de personnes capables de reconnaitre cette photo. Mon oncle est dans le coma, ma petite amie de l’époque… Elle a disparu dans la nature quand j’ai été envoyé dans cet asile. Et Jayden, ma cousine. Je ne côtoyais pas tant de gens à l’époque.

Mais, Jayden commence à s’éloigner de moi pour partir. Evidemment. C’est ça, Jay, prends la porte. Il y a cinq minutes je te plaisais, tu voulais m’aider à finir ce foutu bandage, et maintenant quoi ? Tu vas disparaitre de ma vie et rayer tout ce qu’il s’est passé ? Comme tu le fais à chaque fois que quelque chose ne te plait pas ? Je secoue la tête et lui tourne le dos. De toute façon, je ne suis pas certain que ça valait le coup. Merde, je l’avais quand même bien dans la peau, celle là. Et voilà, non seulement elle me largue comme une merde, mais en plus c’est la seule personne sur cette terre à se rendre compte que je peux être le pire des connards. Tu ne m’as pas déjà assez puni en me faisant interner dans cet asile, hein ? Amer, je m’éloigne vers le canapé. Je pousse un grognement et récupère le bandage qu’elle a laissé là. Partition s’occupera de ça demain, de toute façon, je grommelle dans ma barbe. Partition m’assiste encore des fois, à l’infirmerie. J’enroule le bandage autour de ma taille, serrant à peu près comme il faut, et le faisant tenir avec un nœud grossier.

Me renvoyer dans cet asile ? Vraiment ? Je fronce les sourcils. Oui, car c’est tellement plus facile de cacher ce qui ne te convient pas plutôt que de chercher à le comprendre. je suis profondément amer devant la réaction de Jayden, et manque d’exploser quand elle me renvoie à la figure l’ereur de son père. Bloody Hell ! Je secoue la tête de droite à gauche. Je savais parfaitement quel démon j’invoquais ! Je savais parfaitement que je pourrais le gérer avant que ton foutu paternel arrive et me déconcentre. Son père… Ha, c’était un Constantine, ça c’est sûr. Mais un Constantine de bas étage. Il cachait ses pouvoirs. La seule chose qu’il ait jamais fait pour nous, ça a été de nous apprendre à contrôler nos dons. Il n’avait jamais montré la moindre ambition, la moindre envie d’aller plus loin avec ses pouvoirs. A dix-sept ans, je le surpassais déjà de beaucoup. Je sais exactement ce que j’ai fais, je sais aussi exactement ui était ce démon et je saurais exactement quoi faire le jour où je récupèrerais son âme pour la foutre à nouveau dans le corps de ton père. Ces années d’exil dans un asile m’ont servit à travailler cette partie de mon art. Sur des patients, certes. Mais, au moins, après ils allaient mieux. Parfois.

C’est exactement ce que je fais, Jay. Parce qu’à chaque seconde de mon temps que j’ai eu, j’ai tout fait pour retrouver ce démon et pour avoir la puissance nécéssaire pour lui reprendre l’âme de ton père. Parce que contrairement à ce que tu sembles t’être mis en tête, j’assume mes actes. Certes, à dix-sept ans, c’était un peu compliqué. J’étais sous le choc et c’était normal. J’ai laissé Jayden prendre les décisions à ma place. Je l’ai laissée m’enfermer dans cet asile le temps de me remettre. Mais, je suis un homme adulte maintenant. Totalement adulte. Tu m’as rayé une fois déjà, tu pense que ça sera aussi facile la seconde ? Que je vais te laisser disparaitre comme ça ? ça non. Je l’ai dans la peau. Hors de question qu’elle s’en aille.

Je me prends un bon coup bien placé dans le ventre et ferme les yeux durant quelques secondes. Aie. Vraiment. C’est tout ce que j’ai à dire. Aie. Je relève les yeux vers Jayden alors qu’elle parle, et je l’observe tout en tentant de reprendre mon souffle. C’est qu’elle sait viser, celle là. Un rictus grimpe à mes lèvres alors qu’elle s’éloigne de moi et je fais deux pas, malgré la douleur, pour la rattraper et la tourner vers moi. Je l’observe deux secondes droit dans les yeux. T’es jalouse de Partition ou quoi ?

Mon sourire s’élargis et j’avance la tête pour l’embrasser. La dedans, je mets toute la hargne qu’elle m’inspire. Je la relâche et me mets prudemment hors de portée avant qu’elle ait le temps de réagir. La table entre nous, je la regarde, amusé. Juste dans mon dos, il y a un portail qui me mènera dans l’Institut, si jamais Jayden s’approche de trop. Avec un sourire narquois, je hausse un sourcil. pourtant, tu n’as pas à t’en faire, Jay. Il n’y a que toi dans mon cœur. Le pire ? C’est totalement vrai. Je n’ai jamais eu une fille dans la peau autant que celle là. Et, il faut que ce soit ma cousine. Pas que ça m’arrêterait si les choses étaient différentes, en fait. Non. Pas que ça m’arrête tout court. La seule chose qui m’arrêterait, ça serait qu’elle me foute hors de sa vie à elle. Et alors là… Bah, je continuerais à mater les jolies filles vêtues trop court sans y toucher.

Evidemment, c’est ma seconde nature. Un sourire narquois sur mes lèvres, je m’incline légèrement avant de faire une grimace. Foutue blessure. Ça fait mal. Vraiment mal. Je pose ma main libre dessus, l’autre sur la table. Et puis, je relève les yeux et n’ai que le temps de me figer en voyant le presse papier me foncer dessus. Pas le temps d’esquiver, je lâche donc un mot en langue ancienne et oubliée pour le dévier. Mack. L’objet finit sa course sur le mur et y explose. Il tombe sur le sol en mille morceau et je l’observe durant quelques secondes. Et bah, c’est malin. Je l’adorais ce truc moi ! Je l’avais volé à un démon. En fait, à un démon proche de celui que je recherche depuis quelques années. Celui qui a volé l’âme de mon oncle. Celui qui a semble-t-il décidé de me faire tourner en bourrique durant un sacré moment.

Je laisse là la boule éclatée. De toute façon, elle ne m’a jamais servit à rien. Je pose la main sur le mure et me téléporte à l’Institut. Là, je me pose sur le canapé de mon bureau et ferme les yeux. Dormir, c’est ce qu’il y a de mieux. Et, demain, on ira embêter Partition pour qu’elle s’occupe de moi. Parce que je ne suis pas sûr d’avoir fait exactement ce qu’il fallait.

En fait, je suis même totalement sûr que je n'ai pas fait ce qu'il fallait.