Allongé sur mon lit, la première chose qui me vient en tête c’est la douleur. J’ai mal partout. Il y a un truc qui s’enfonce dans mon dos. Où est ce que j’ai passé la nuit ? Avec qui ? Ma tête tourne et cogne comme si quelqu’un s’amusait à me taper dessus avec un marteau. Je pousse un profond grognement et me retourne sur le côté sans ouvrir les yeux. La douleur dans mon dos se déplace sur le côté et je soupire de lassitude. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Ma main me semble particulièrement lourde lorsque je la lève et la pose contre mon torse. Je me soulève légèrement pour toucher un ressort sur un matelas moisi.

Attendez. Matelas moisi. Ressort ? Je finis par ouvrir les yeux sur une pièce que je ne connais pas, face à une personne que je connais, même si je ne la vois que peu, et qui semble dans le même état que moi. Où est ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais la ? Je me relève brutalement et retombe sur mes fesses sur le bord du lit prit d’une nausée. Qu’est-ce qu’il se passe ? Ma main se porte à mon front et je remarque que je porte un pantalon blanc élastique et le haut d’une veste d’hôpital. Les meubles défoncés, les murs blancs salis de sang et autres substances indéfinissables…

- Ouais, OK, celle-là je l’ai cherchée…

A force d’embêter les démons et de titiller leurs points sensibles, il était à peu près certain qu’un jour j’allais me retrouver dans une sale situation comme celle-là. Je baisse mon regard et observe les marques sur l’intérieur de mes deux coudes. Vu ce qu’on a dû m’injecter, la migraine est normale. Et, je ne peux pas vérifier si je possède encore mes pouvoirs. Pas devant elle. Ce serait trop dangereux pour ma couverture. Sauf que si on en vient aux combats….

Je me relève un peu plus lentement et m’approche du lit où Shaelyn reprend visiblement conscience avec autant de difficultés que moi. Qu’est ce qu’elle fait là ? Est-ce pour m’atteindre parce qu’elle est plus ou moins la seule personne que je vois par pur plaisir en dehors de cette école de malades mentaux ? Peut-être. Je l’aide à s’asseoir et repousse une mèche de son visage pour vérifier qu’elle n’a rien.

- Tu vas bien ? Ils ne t’on rien fait ?

Elle est encore capable de râler. Un rictus monte à mes lèvres et je hoche lentement la tête pour accepter sa réponse. Parfait. Elle va bien, donc. Et, ma tête est dans le même état, même si je commence à réussir à mettre la douleur de côté pour me concentrer sur le présent. Quelque chose me dit que je vais en avoir besoin.

- Je ne me rappelle de rien non plus, je grogne avant de soupirer en entendant sa question sur l’endroit où nous sommes. Je baisse les yeux durant une seconde et je finis par les relever vers la lucarne qui éclaire la pièce d’une lueur à la fois trop forte et insuffisante. Nous sommes dans un asile psychiatrique. C’est un endroit… Spécial. Peu de gens n’en sont sortis vivants, et la plupart n’avaient plus toute leur tête.

Je fais la grimace et me relève lentement pour ne pas raviver la migraine. Je m’approche de la dite fenêtre et tente de l’atteindre pour observer l’extérieur en me mettant sur la pointe des pieds. Quelque part, c’est ma faute. Je sais parfaitement que j’ai du titiller le démon de trop et que j’ai du faire la connerie qui va me conduire dans la tombe, cette fois.

- La seule personne qui en soit sorti que je connaisse est Leah, la responsable des Chasseurs en France, et … ça ne s’est pas bien passé. Elle était enceinte quand elle est sortie, sans avoir de compagnon cependant, et elle a fait une fausse couche à six mois. Le bébé n’était pas humain.

J’ai dis tout ça sur un ton absolument neutre. J’observe le vide devant moi, et abandonne l’idée de regarder par la fenêtre pour me retourner vers Shaelyn, un rictus sur mon visage. En cet endroit, je suis relativement prêt à tout pour m’en sortir. A tout, même à dévoiler mes pouvoirs à cette inconnue. Lorsque je me retourne, une porte est apparue dans le mur. Je pousse un grognement.

- Aucune idée. C’est endroit contrôle tout. Où nous allons, pourquoi nous y allons. Je suis presque sûr que les illusions qu’il envoie sont presque aussi puissantes que les miennes…

En un an de liaison plus ou moins régulière avec Jayden, je dois avouer que je ne lui ai jamais parlé de mes pouvoirs ni de la magie démoniaque qui coule dans mes veines. C’est bien pour ça que j’utilise un pseudonyme, après tout. Je lui fais signe d’ouvrir la porte tout en m’avançant vers elle, et nous entrons dans l’un de ces couloirs dont tous les rescapés parlent. Sale. Sombre. Avec la lumière qui joue des tours. Il ne nous reste plus qu’à suivre l’unique chemin, vers la droite et de voir où ce labyrinthe veut nous emmener.

Tout en avançant dans le couloir, je laisse mon regard dériver sur la demoiselle devant moi. J’avoue ne pas être très attentif à ce qui m’entoure : ni les tâches de sang brunes sur le mur, ni les carreaux branlants du sol, et encore moins les traces de griffures sur le papier peint. Mon regard se tourne vers le vide et je soupire un coup avant de revenir au présent. Il ne faut pas que je laisse cette demoiselle me distraire, non. Nos flirts passés n’ont pas lieu d’être ici, et même si je sais apprécier la façon dont elle porte cette blouse d’hôpital, je dois me concentrer pour la protéger. Je n’arrive pas à comprendre comment nous nous sommes retrouvés là. Je n’étais même pas avec elle, hier soir. J’étais à l’Institut. J’avais une séance avec Alyona, une des dernières, et ensuite… Ensuite je suis rentré me coucher. Pas de rendez-vous. Rien. Et pourtant, le sort nous a réunis ici. De ceux qui sont sortis de cet endroit maudit, aucun ne se rappelait comment ils étaient arrivés là. Plus que perturbant, si vous voulez mon avis. Je secoue lentement la tête de droite à gauche en arrivant au coude du couloir. Je m’arrête juste avant et passe la tête en avant pour regarder ce qu’il se passe de l’autre côté du coin. Je reviens en arrière et pousse un profond soupir. Chien des enfers, j’annonce à la demoiselle à côté de moi, avec une grimace. Si j’étais seul, j’aurais pu m’en débarasser d’un claquement de doigts en le faisant exploser de l’intérieur. J’aurais, certes, été couvert d’entrailles et autres fluides bizarres, mais j’aurais été tranquille. Là, je ne peux utiliser de la magie des démons devant Shaelynn. Pour l’heure, elle ne sait pas ce que je suis, et il est hors de question qu’elle l’apprenne.

Je tourne mon regard vers Jayden, un sourire sur le visage et je hausse les épaules avant de faire un geste vers le coin. L’animal ne nous a pas vu, encore, et nous pouvons discuter tranquillement de ce qu’il va se passer et de comment nous allons pouvoir nous occuper de la créature. Une fois, j’en ai mangé. En rôti. C’était pas mauvais. Mais avant ça, il faut le tuer. Une idée ? Je lève un sourcil, amusé, avant de croiser les bras et de plonger mon regard dans celui de la demoiselle, charmeur. Je m’en fiche. Ce n’est ni le lieu, ni le moment, mais face à elle, je ne peux pas m’empêcher de faire le beau. Je suis preneur. Un rire monte à ma poitrine. Je ne dois pas me faire passer pour un total incapable, mais je ne peux pas montrer mes talents non plus. Il va falloir doser.

En réalité, je pourrais parfaitement me charger du démon tout seul. Ma pyrokinésie suffirait pour une créature de ce niveau. Je croise les bras et m’incline devant elle lorsqu’elle me dit qu’elle va s’en occuper. Très bien. Elle a donc de la ressource. C’est intéressant. Si j’apprécie cette femme et le flirt qui s’est instauré entre nous depuis un an que nous sommes amis, je n’avais jusque là jamais eu l’occasion de la voir agir en combat. Non. Nous sommes allés au restaurant, et surtout je lui ai fait visiter Paris, les catacombes des fey, et Moonlacre, le petit quartier magique caché à quelques rues de l’Institut. Mais, la voir au combat, c’est une première. Je la laisse donc passer devant moi et je regarde ce qu’elle fait, bras croisés. Intéressant. L’animal est tué en un seul coup. Pyrokinésiste… Intéressant Je hoche la tête alors qu’elle m’invite à avancer et je la suis durant quelques pas avant de hausser les épaules. On ne saura qu’en essayant. Mais, je sens qu’une partie de mes pouvoirs m’est… inaccessible. C’est comme un trou dans ma poitrine. Une impression que j’ai perdu quelque chose d’important. Si je sais que la magie démoniaque dont je fais si souvent usage est toujours là, de même que la pyrokinésie, j’ai l’impression que mon exorcisme m’échappe totalement. Quant à la magie des sorts, je ne me rappelle pas de beaucoup de sorts. Ashley a tenté de me la faire apprendre, mais… Franchement je n’en vois pas l’intérêt. J’ai la même chose en plus rapide avec la magie des démons. Pourquoi m’en priver ?

Enfin, le fait de n’avoir accès qu’à la partie démoniaque de mes dons est tout de même assez intéressant. Quelqu’un à réussi à bloquer les pouvoirs bénéfiques. Mes pouvoirs bénéfiques. C’est tout de même assez spécifique. Essaie, si tu veux. Sinon, j’en tenterais un de ma … conception. On peut dire que je préfère la voir tenter son sort avant le mien. Dévoiler un véritable pouvoir maléfique en guise d’amuse gueule pourrait me mettre un peu plus en danger ici face à cette demoiselle dont je ne sais rien, bien plus que contre les créatures dont nous pourrions croiser le chemin. En effet, eux, au moins, je n’hésiterais pas à leur ôter la vie. Pour Shaelynn, pour le coup, ce serait plus compliqué.

Je la laisse donc lancer le sortilège et fronce les sourcils en le voyant fonctionner. Décidément, il va falloir que je me documente sur cette magie. Si ça marche même ici, ça peut être super utile. Mais, après quelques couloirs et portes, voilà que le fil s’arrête sur une pièce bien plus… soft que celle dans laquelle nous nous sommes réveillés et de tout ce que j’ai pu voir les autres fois où je me suis fait enfermer dans des endroits de ce genre. Une moue monte a mes yeux et j’entre dans la pièce où une étrange torpeur s’empare de moi. Le plus bizarre dans tout ça, c’est que je ne cherche pas à la combattre. Je tourne en rond dans la pièce, prends une grande inspiration et croise le regard de Jayden. Cet endroit. Cette pièce. Cette fille. Je traverse la pièce, attrape son visage et l’embrasse en la serrant contre moi. On va s’en sortir. Je te le promet.

Une part de moi se révolte totalement, mais j’ai l’impression de ne plus être maitre de mes actes. Comme si cette fille était tout pour moi, comme si elle était plus importante que ma vie elle-même. Ce n’est pas moi. Je n’ai jamais été comme ça. Jamais.

* * * * *

Quelques heures plus tard, je m’éveille en sursaut, allongé dans un lit qui n’était pas là tout à l’heure. Que s’est il passé ? Je pousse un grognement et observe la demoiselle à côté de moi, à moitié nue, qui s’éveille aussi. Je suis de bien moins meilleure humeur que tout à l’heure et semble avoir repris mes sens, car ce qu’il vient de se passer n’était pas vraiment au programme. Passer une nuit – ou plus – avec cette fille était en effet dans mes plans, mais certainement pas ici. Où avais-je la tête ? Je sors du lit et rajuste ma robe d’hôpital avant de me mordre la peau du pouce pour le faire saigner et de poser une main sur le mur. Mes yeux deviennent rouges alors que j’invoque cet art démoniaque qui m’habite depuis un certain temps. Des mots d’une langue oubliée sortent de ma gorge et un cercle magique se forme autour de mes doigts, ouvrant ensuite un portail vers l’Institut. Je tends une main à Jayden, bien conscient que mon apparence actuelle doit la déranger, mais je ne resterais pas une minute de plus ici, quitte à faire foirer ma couverture. On s’en va.