Il m’en a fallu du temps et du courage pour finalement montrer ce foutu livre à ma tante Clara. Si mon cœur est tout à elle en ce qui touche à la maternité, autant dire que je peux parfois avoir un putain d‘égo mal placé quand il s’agit de demander de l’aide. Clara est et restera la mère que je n’ai jamais eue, celle qui a toujours été là à mes côtés et qui sera toujours là pour moi. Mais, ces fichues marques… Je tire machinalement sur ma manche pour être sûre que rien ne dépasse. Rien du tout. J’ai des mitaines, mais je ne suis pas réellement sûre que personne ne peut les voir. Heureusement mes doigts et mon visage sont épargnés. Malheureusement, je n’ai jamais eu aussi chaud pendant l’été.

Alors, après m’être harnachée dans ma tenue de Chasseuse en cuir, avoir récupéré cette étrange épée trouvée dans une quête il y a peu, et avoir rajouté deux pistolets paralysants à ma ceinture, j’ajuste mon blouson de cuir bleu et vérifie pour la millième fois mes mitaines. Personne ne doit voir. Personne ne doit savoir. Personne.

Dans les catacombes, je décide de m’en remettre à Clara et de la suivre. Si j’ai été élevée pour devenir une super chasseuse, autant dire qu’on a oublié de me greffer un truc à la naissance : un sens de l’orientation digne de ce nom. Je suis capable de me perdre dans ma propre chambre. Ok, c’est sûrement à cause du bordel ambiant. Un sourire sur les lèvres, je suis Clara. Dans mon dos, mon épée pèse un peu lourd mais… C’est agréable de la sentir là. Rassurant. Le bruit léger de mes pieds sur les pavés glissants de moisissure me garde sur le quivive en toute circonstance. L’air vicié qui entre dans mes poumons est un constant rappel qu’ici, je ne suis pas la bienvenue, qu’ici… Ici les choses sont différentes. Le monde n’est pas mien. Ici, je suis une intruse, venue pour dérober des informations. Et, dans la guerre civile qui fait rage, l’information est tout. Nous devons être prudentes…

La patrouille agit étrangement. Je fronce les sourcils et reste immobile le temps qu’ils s’éloignent. On dirait qu’ils ont peur de venir par ici. On dirait qu’ils ont peur de se retrouver de ce côté de la pièce. D’y entrer, même. Je jette un regard à tata Clara et entre dans la pièce, pleine d’une bravache que je ne soupçonnais même pas, sans même sonder si elle est piégée ou pas. Ah, elle est belle l’apprentie chasseuse, à se jeter la tête la première dans un piège si tôt les gardes partis !

Un premier pas. La dalle frémit sous mes pieds mais tient bon. C’est donc ça, le piège ? Une pièce où seuls les plus légers peuvent passer ? Ça ne m’étonne pas qu’avec tout leur équipement ils n’aient pas pu, tient ! Ils devaient peser au moins cent trente kilos chacun. Moi ? Je ne dépasse pas les soixante, même avec mon épée. Je passe sur la seconde dalle et m’immobilise.

C’est à ce moment-là que tout bascule. Clara fais un pas pour me suivre et ma dalle s’enfonce brutalement. Je ne prends pas de gants et repousse ma tante adorée d’un coup d’aérokinésie vers l’entrée de la pièce. Ma dalle remonte immédiatement. Chacune son tour. Je n’ai aucune idée du poids que ces dalles peuvent supporter, mais visiblement c’est lié. Une personne à la fois. Je ne t’ai pas fait mal ?

J’avance sur une autre dalle. J’attends son frémissement avec une sorte d’impatience. Elle s’abaisse légèrement à son tour. Une autre dalle. Celle la s’enfonce un peu trop et je n’ai que le temps de sauter en arrière pour retourner sur la précédente, aidée d’un peu d’aérokinésie. Il y a donc un chemin. Je reste immobile durant quelques secondes, observant les dalles que je viens de prendre et celles qui se trouvent devant moi. Il n’y a à mes yeux aucune différence. Je me mords la lèvre inférieure suffisamment pour que la chair éclate et que le goût du sang envahisse ma bouche. Je prends une inspiration et crée une zone d’air vide au dessus de moi. Je calcule rapidement dans ma tête la force que je vais devoir lui donner pour qu’elle ait à peu près le même poids que moi à l’arrivée. Et puis, je la relâche vers le sol.

C’est une mauvaise idée et je le sais.

La dalle visée s’effondre et la mienne descends dangereusement. Je pâlis alors qu’elle remonte brutalement comme la dalle vide laisse un trou noir dans le sol. J’espère simplement ne pas mourir. Je recommence une seconde fois. La dalle descend, la mienne aussi, mais les deux remontent à la seconde où le poids de l’air disparait. Fais attention Clara, il faudra marcher exactement où je vais. J’avance sur la suivante. Et recommence mon manège pour trouver la dalle suivante. Jusqu’à atteindre la dernière de l’autre côté de la pièce. Au tour de Clara !

Non non non non non… Attendez. Qu’est ce que c’est que ce bordel ? Clara ! Je secoue la grille et me sens particulièrement impuissante face à cette situation. Comme si ce n’était pas assez, voilà qu’une créature entre en scène. Le lion est énorme. Une seconde durant, je me demande s’il y a un public quelque part et que je vais me retrouver avec des fers aux bras et aux jambes comme si c’était encore l’empire romain. Pour le coup, je suis presque sûre que certains des fey se pensent encore à cette époque. Ils sont malades, ces feys. Complètement maladeuh … ahem, je commence à partir en live.

Clara finit par se tourner vers moi. Attention ! Elle esquive le lion de peu et je me recule d’un seul coup. Ouf. Évité, le coup de patte un peu dangereux qui dépasse les grilles. Le lion s’occupe de moi tandis que Clara se rue de l’autre côté de la pièce pour s’enfuir. Cache toi, je fais le tour. Le tour ? Par où. Je n’en ai aucune idée. Je recule encore et agite mes doigts pour raviver le sortilège de localisation et le moduler légèrement pour le focaliser sur Clara et un autre moyen de la rejoindre. Le fin trait doré s’envole alors de ma paume et me guide sur la droite, dans un couloir aussi sombre que moisi. Dégoutant. Je m’avance, doucement et m’arrête au tournant suivant pour vérifier qu’il n’y a personne. Une volée de marches vers le bas me fais grogner et je vérifie mon sortilège. Je descends donc les marches, et une fois en bas, je passe sur la pointe des pieds devant le garde endormis sur sa bouteille avant de remonter d’autres marches.

Le sort me guide ensuite sur la gauche, puis sur la droite, pour arriver devant une dernière salle. Dernière, car je sais que je ne la passerais pas. Clara doit être de l’autre côté de l’épaisse porte en fer de l’autre côté, je le sens avec ce sortilège étrange. Mais, pour ça, il faudrait déjà que je passe la dizaine de gardes qui est en train de ripailler en riant à gorge déployée. Je n’ai clairement pas l’allure d’une fey, et je ne sais pas métamorphoser mon apparence.

Mon regard gris cherche une solution. Je soupire tristement et finis par hausser les épaules. Et si j’y allais au culot ? Je me racle la gorge, vérifie que rien ne peut me gêner et sors mon épée de son fourreau. Allez, on y va. J’avance, le dos droit, l’épée le long de la jambe, sans un mot. Si au début personne ne me remarque, j’approche de la porte quand un « halte là » se fait entendre. Tous les regards sont tournés vers moi et j’envoie un sourire amusé à l’homme qui a parlé Oui ? Qu’est ce que vous faites là ? Je viens chercher ma tante. Elle s’est perdue.

Je continue mon chemin vers la porte. Une dague qui passe à côté de mon visage pour ricocher sur le mur et tomber sur le sol me fait m’arrêter. On me saisit par le bras gauche, celui qui tient mon épée. Je ne trouve rien d’autre à faire que de pousser un cri en écrasant ma main sur le visage de l’homme. Je sens alors une chose étrange m’envahir. Je suis vidée de toute ma vitalité. Ma main se couvre de noir, alors que les tatouages bougeant habituellement sur tout mon corps viennent s’y retrouver tous d’un coup. L’homme pousse un hurlement de douleur et se recule. Son visage se couvre de pustules et sa peau se met petit à petit à fondre. Le silence devient pesant, et alors que l’homme expire sous mon regard exorbité, les autres se mettent à fuir. Je regarde ma main droite, stupéfaite. Je me recule du cadavre et me cogne contre la porte que je cherchais tant à atteindre. Devant moi, l’homme n’est plus qu’un tas de chairs à moitié décomposées. Je ferme les yeux et me laisse couler contre la porte. Je reste là quelques longues minutes puis me redresse. Clara m’attend. Tel un zombie, je relance le sortilège et m’avance jusqu’à elle, dans le couloir. Arrivée là, je me jette dans ses bras et ferme les yeux.

Les bras de Clara se referment autour de moi et je ferme les yeux une seconde durant. Je suis bien, ici. Je suis protégée, ici. Après quelques secondes de trop, je la repousse et je m’éloigne légèrement d’elle. Je ne peux pas rester là jusqu’à la fin des temps. D’une part, c’est dangereux, de l’autre… autant dire que je ne suis pas sûre d’avoir envie de rester à proximité de ce fichu cadavre.

Je relance le sort de localisation, et nous arrivons devant une porte fermée avec un énorme cadenas. Je songe à lancer un autre sortilège pour l’ouvrir, car oui il existe, mais je n’en ai pas le temps : ma chère tantine s’en charge en sortant des outils spéciaux. Et bah. Si on m’avait dit qu’elle avait été cambrioleuse. Je n’y aurais pas cru. Pas du tout. Je soupire et me passe la main dans les cheveux. Au fond, je ne suis pas tout à fait certaine d’avoir peur des gardes qui arrivent. Je baisse le regard vers ma main droite et la referme. Je serre le poing et regarde les tatouages migrer vers elle et la couvrir d’encre noire. Cette… malédiction est fait pour tuer. Je ne sais pas ce que sont ces marques, mais elles ne sont définitivement pas là pour faire joli.

Clara me tire de ma rêverie et je la suis dans la pièce. Elle referme la porte et je regarde autour de moi, indécise. Je lance un sortilège qui invoque trois boules lumineuses qui s’envolent au dessus de ma tête pour éclairer l’endroit. Nous sommes dans une énorme bibliothèque. qu'est ce qu’on fait là, au juste ? Aucune idée. Je suppose qu’il doit y avoir un livre quelque part sur ces marques démoniaques. Je prends une grande inspiration et tourne le regard vers Clara. Je ne suis jamais venue ici quand j’ai été dans les catacombes… ça a l’air plus grand encore que la bibliothèque de l’école. Traduction : il faudrait ramener tout ça à l’école pour l’éplucher comme il faut. Malheureusement, à deux, ça risque d’être légèrement complexe. Je ne nous vois pas porter sur le dos la totalité de ces ouvrages. Il nous faudrait un des portails de Constantine, tient. C’est lui que j’aurais dû trainer là dedans, pas Clara. Je m’avance vers un des rayons et lis le titre de la rangée. Sciences occultes du douzième siècle. Passionnant. Je m’avance vers le suivant. Traités de magie supérieure. Ça, par contre, ça m’intéresse. Mais, quelque chose me dit que je ferais bien mieux de chercher le rayon traitant de la magie démoniaque.

Oh arrête un peu, je suis parfaitement capable de me défendre, fit-elle en réponse à Clara avec un rictus. C’est pas comme si Sofia ne m’avait pas jetée aux loups quand j’avais huit ans. Elle avait appris à survivre avant d’apprendre à vivre. Seule contre tous, seule face aux ragots et autres idées reçues, l’héritière des Chevalier n’avait jamais réellement eu d’amis. Mais, cela changeait petit à petit. Les mentalités évoluaient. Et, Lucy avait eu sa période tête brûlée à foncer avant de réfléchir, à finir dans les ennuis jusqu’au cou. Et, accessoirement, à l’infirmerie.

Clara lui demanda alors de lui tendre sa main. Lucy hésita. Réellement. Elle fit une grimace. Depuis qu’elle avait développé sa télépathie, Lucy n’aimait pas toucher les gens. Elle reculait devant le moindre contact humain, parce qu’elle voyait et apprenait trop de choses sur les gens qu’elle effleurait. Elle leva cependant son bouclier sur son esprit et le rendit imperméable à toute entrée. Cela n’empêcherait pas Clara de trouver ce qu’elle avait à trouver, cependant. Lucy la laissa faire et puis elle s’éloigna d’elle. La jeune fille récupéra son bouquin de haute magie et l’ouvrit pour lire un sort ou deux. Sa bouche formait les mots d’un sort sans qu’aucun son n’en sorte lorsque Clara l’appela. Lucy tourna la tête et referma le livre. Elle s’approcha du parchemin et l’observa avec appréhension. Nous devrions le ramener à L’Institut pour le lire. La jeune fille détacha alors son sac de son dos et y fourra le livre de haute magie et le parchemin, après l’avoir mis dans un étui de cuir rond qui trainait. Retournons à l’Institut. Au passage, Lucy attrapa le second volume des sorts qu’elle avait trouvés. Histoire de ne pas avoir à revenir lorsqu’elle aurait étudié celui-là de bout en bout.