Ce matin-là, je me lève bien avant le soleil, incapable de fermer l'oeil avec toutes ces histoires. Avant, je me sentais mal chez moi dans les profondeur alors je restais le plus possible à l'Institut. Maintenant je me demande si ce n'est pas plutôt l'inverse. C'est en soupirant que je passe à la cafétéria piquer un café directement en cuisine puis prend la direction du gymnase. Je sens qu'il faut que je me défoule. En tant qu'empathe, j'accumule en très peu de temps des doses phénoménales d'émotions et sensations extérieures aux miennes et il n'existe aucun autre moyen de m'en débarrasser. L'effort et l'épuisement sont mes seuls remèdes contre la folie. Déjà, je sens dans ma façon de réagir que j'ai trop attendu pour aller m’entraîner. Je suis plus irritable, agressive, solitaire. On m'en a fait la réflexion trois fois cette semaine. Je dois vraiment agir avant que ça ne dégénère. Je passe donc par le vestiaire pour enfiler un legging court et une brassière de sport. Une serviette éponge sur la nuque, je rentre dans la salle dédiée aux entrainement de combat. Lentement, j'enroule mes mains d'une bande adhésive noire, au niveau des phalanges. Je ne porte jamais de gants de boxe car j'aime garder ma dextérité. Avant de m'attaquer au sac, je fais plusieurs échauffements, des sprints, des étirements. Ce serait trop bête de me ruiner ici alors que je pourrais aider les chasseurs à repousser l'ennemi.

« Bon, ça devrait suffire. » Je soupire pour moi-même.

Je prends donc place face au punshing ball et me met à frapper dedans de façon précise et sèche. Mes poings font un bruit mat contre le sac et je me met rapidement à taper plus fort. Enfin, des émotions et des flashs remontent à la surface. De la douleur, de la peur, de la peine, de la pression... Toutes ces énergies négatives m'envahissent comme un ras-de-marrée et je dois serrer les dents pour rester concentrée sur le sac. Bientôt, je n'arrive plus à savoir si le son vient de l'impact de mes poings ou du sang dans mes oreilles qui bat violemment. Des souvenirs remontent comme des phrases que j'ai entendues malgré moi ou que l'on m'a dites carrément. Certains sont d'une grande dureté et des larmes commencent à rouler sur mes joues. Il est probable que mes cris de rage soient audibles dans tout le bâtiment mais hé, de toute façon personne d'autre ne peut être ici à trois heures du matin, pas vrai ? Alors je ne me retiens pas et hurle en frappant de plus en plus fort jusqu'au moment où je pivote sur mes hanches et flanque un énorme coup de pied dans le sac. Celui-ci éclate sous l'impact et vole à travers la pièce, rependant le sable qui était à l'intérieur sur le sol de la pièce. Tremblante, je me laisse finalement tomber à genoux par terre, tentant de reprendre mon souffle. C'est bien ce que je disais, j'ai trop attendu pour venir, le résultat est criant de vérité.

Je me croyais seule. J'étais persuadée que j'étais seule dans le gymnase. En vérité, je n'ai jamais vu un homme se montrer aussi discret. Jusqu'au moment où il s'est adressé à moi, je n'avais aucune idée de sa présence dans cette même pièce où je m'entraîne. C'est pour cette raison que je sursaute aussi soudainement au son de sa voix. Je me sens aussitôt honteuse d'avoir crié et de m'être défoulée ainsi devant lui. Surout qu'à en juger par sa posture, il devait être en plein dans une séance de yoga ou de méditation quelconque. Je rougis légèrement et me redresse pour accrocher un nouveau sac là où le premier se trouvait avant que je l'éclate brutalement. Malgré mon état émotionnel actuel, je prends le temps d'écouter ce que cet homme m'explique. À en juger par son allure et ses connaissances au combat, j'en déduit assez rapidement qu'il s'agit d'un chasseur. Je suis assez étonnée de ne pas l'avoir rencontré plus tôt. Cela dit...il n'a pas l'air d'être du genre à faire le tour des nouvelles recrues pour rigoler. Il fait plutôt mystérieux et silencieux. Je hoche donc la tête en assimilant ce qu'il m'explique. Au fond, ce qu'il dit a du sens et je me sens stupide de ne pas l'avoir deviné par moi-même. Avec un petit sourire, je récupère la serviette qu'il me tend et le regarde me faire une démonstration. Son coup est sec, brutal, bruyant. Le tissu du sac claque et le son se répercute dans toute la salle. Impressionnant.

« Wow. » Est le seul son qui s'échappe de mes cordes vocales.

Et puis il s'en va, retournant méditer comme s'il ne s'était rien passé. Pendant un instant, j'hésite à partir et le laisser se concentrer, mais j'ai vraiment envie de réussir ce mouvement qu'il vient de faire. Me mordant légèrement la lèvre, je regarde le sac de frappe avec une envie de folle de me défouler dessus une fois de plus. De toute façon, je suis une apprentie chasseuse, je dois progresser et faire ce que les autres font. Je souffle un bon coup et me remet en garde. Sur la pointe des pieds, je sautille un peu avant de basculer mon bassin comme le chasseur m'a dit de faire et lance mon pied à une vitesse folle vers le sac. Celui-ci ploie sous le coup et un grand *clac* retentit. Je souris en songeant qu'un véritable ennemi aurait perdu facilement trois côtes rien qu'avec ce coup. Et je me suis bien moins fatiguée en bougeant souplement que tout à l'heure, lorsque mon mouvement était plus rigide. En effet, une fois l'effet de rotation donné à mes hanches, ma jambe devient un véritable fouet. Ravie du résultat, je me tourne vers le chasseur. À présent, c'est sa technique de méditation qui me fascine. Il a l'air tellement...en paix. C'est un sentiment que je n'ai jamais connu, probablement à cause de mon empathie sur-développée. En général j'évite au maximum la présence de gens inconnus autour de moi, afin de ne pas absorber leurs émotions...mais lui, il ne dégage rien de nocif pour le moment. Comment fait-il cela ? M'épongeant le visage avec la serviette, je m'approche un peu de lui.

« Vous êtes un chasseur de démons ? Ce genre d'expérience ne sort jamais de nulle part. » Je demande, pas le moins du monde intimidée.

Intriguée, je m'approche de mon professeur occasionnel. Un petit sourire s'étire sur mes lèvres lorsqu'il confirme mes soupçons concernant son métier. J'en étais sûre. Cependant, une autre question me brûle la langue sans que j'ose la poser de claire voix. Puisqu'il se présente à moi, je décide de laisser pour l'instant mes interrogations déplacées pour suivre son exemple et décliner mon identité. Je hoche la tête en assimilant les informations qu'il me donne puis me présente à mon tour.

« Je suis en effet une apprentie. Mon nom est Shadow. Shadow Maldorane. » Dis-je sur un ton neutre.

Si au départ mon attention se trouvait focalisée sur sa voix grave et son calme incroyable, je suis surprise en découvrant les yeux qui se cachent derrière ses paupière. Ses pupilles irradient d'une couleur rouge vive qu'une seule espèce pourrait arborer selon mes connaissances. Je déglutis, prenant conscience à la fois de la puissance et de la rareté de l'être qui me fait face en ce moment même. C'est un dragon. Et pas n'importe lequel. Je n'en connait qu'un autre comme lui et c'est la principale de cette école.

« Vous êtes un fafnir rouge... » Je remarque sans aucune timidité.

Peut-être est-ce déplacé de lui faire remarquer qu'il est presque éteint, mais j'avoue avoir du mal à contenir ma fascination. De toute façon, ce n'est pas comme si j'étais du genre à tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. C'est mon honnêteté et mon manque de manières qui m'attirent la plupart de mes ennuis quotidiens. Il faut croire que j'assume cet aspect de ma personnalité. Puisqu'il m'y a invitée, je m'installe en tailleur face à lui. Je crois que je l'aurait fait de toute façon, même sans qu'il me le propose. Dans cette position, je prends davantage conscience de notre différence de taille. Il est grand et large d'épaule alors que je suis minuscule et fine comme un cure-dent. Sans un mot, je soutiens son regard perçant. Je sais ce qu'il essaye de faire. Il n'est pas le premier homme que je croise et qui essaye de me déchiffrer. Il n'y arrivera pas. J'ai appris depuis ma naissance à me fermer aux gens extérieurs. J'absorbe tout ce qui vient de mon entourage, mais je ne laisse jamais personne absorber ce qui émane de moi. Ce serait bien trop dévastateur. Avec un sourire amusé, je décide de l'en informer.

« C'est peine perdue. Vous ne saurez rien de moi de cette façon. Je ne suis pas un livre ouvert. S'il y a des choses que vous souhaitez savoir, il vous faudra les demander. »

Je suis contente de savoir que mon sens de l'observation ne m'a pas fait défaut, même si je n'avais pas énormément de doutes au sujet de sa race. Je ne suis pas une excellente élève en classe, mais j'ai toutes les informations dont j'ai réellement besoin pour faire mon travail convenablement. Disons que j'ai simplement un esprit plus pratique que la plupart des gens. Je trie les informations et ne garde que ce qui m’intéresse. Le reste n'est qu'artifices et prétention. Je hoche la tête en réponse à ses paroles. S'il tient tant que ça à savoir qui je suis, qu'il les pose ses questions. Je n'ai cependant pas promis que j'y répondrai. Du moins pas honnêtement. Mon sourcil gauche se hausse alors que j'offre au dragon une expression de curiosité. Son corps est différent à présent. Il n'est pas entièrement humain. Des écailles sont apparues le long de sa colonne vertébrale et même sa posture fait davantage créature qu'humanoïde. On pourrait croire que cet aspect pourrait m'effrayer, mais il n'en est rien. Je le trouve surtout fascinant. En revanche, ses paroles ne me surprennent pas du tout. Ainsi donc l'interrogatoire est déjà lancé ? Très bien, je tenterai d'être claire et concise.

« Je ne viens ici que lorsque j'en ressens le besoin. Et à moins que vous ne viviez dans ce gymnase, je ne pense pas que vous puissiez en connaître tous ses utilisateurs. » Je dis sur un ton neutre et franc.

Ma tête est légèrement inclinée sur le côté comme celle d'un animal intrigué. Je n'ai pas honte de ce que je dis ni du ton que j'emploie. Ma réponse n'est autre que ce que je pense, alors pourquoi devrais-je la dire autrement ? Cependant je m'adoucis lorsqu'il m'explique qu'il n'aime pas être traité différemment à cause de son espèce. Je ne peux que m'identifier à un tel discours. Les nécromanciens ne sont pas vraiment les plus aimés au monde. Mon peuple subit encore aujourd'hui les résultats de plusieurs siècles de clichés erronés à son sujet. Je hoche la tête lentement, me sentant un peu moins sur la défensive qu'avant. Je comprends ce qu'il ressent. Être jugé pour ce qu'on est à la naissance, c'est douloureux. Il est plus agréable d'être jugé sur la personne que nous choisissons d'être par la suite.

« Je comprends. » Dis-je simplement.

Mais alors que je commençais à me détendre en sa présence, le dragon me pose une question qui me fait plisser les yeux et remonter mes barrières mentales au plus haut niveau. Il espère encore percer mes secrets et comprendre mon fonctionnement. Je n'aime pas cette attitude. Je ne suis pas une machine que l'on décortique pour mieux la comprendre. Je suis qui je suis et mes motivations ne regardent que moi.

« Certaines personnes comme moi ne peuvent tout simplement pas se permettre de se détendre complètement. Jamais. » Dis-je sur un ton plus sombre que voulu.