La piscine. Mêle si je suis une sylfe, et donc une créature de l’air, je dois avouer que j’adore aller nager, et que j’aime encore plus me retrouver là, dans cet endroit, pour enchainer les longueurs les unes après les autres. Là, j’oublie tout : qui je suis, ce que je suis, et d’où je viens. Mes soucis, aussi et surtout. Sur mon cou s’orne toujours la cicatrice de ce foutu vampire qui m’a mordu lors d’un voyage scolaire, et à chaque fois que je croise mon regard dans la glace, je ne peux m’empêcher de penser à quel point j’ai échappé de peu à la mort. Je n’ai jamais eu l’âme d’une guerrière, ça non. Ici, on vous apprend à vous battre, on vous apprend à vous entrainer toute la journée, mais je n’ai jamais été le genre de fille qui soit douée à ce petit jeu-là. Non, mon boulot à moi, c’est d’enseigner aux côtés du prof d’Aerokinésie, et de la regarder être tellement plus que ce que je ne serais jamais. Oh, nous sommes des sylfes, toutes les deux, mais elle… Elle est tellement magique. Tout en elle respire cette force tranquille que j’aimerais ressentir ou plutôt faire ressentir aux autres. Mais, je ne suis que moi : une crétine qui se fuit elle-même.

Mes pieds frappent avec violence sur le rebord de la piscine alors que je repars dans l’autre sens en nageant le plus rapidement possible. J’ai besoin de me vider la tête, totalement. J’ai besoin de ne plus être moi, de n’être que cette force qui nage, encore et encore, et qui finalement arrive au bout de la piscine pour mieux recommencer. Une nouvelle longueur.

Il y a une chose dont je devrais un jour parler à cette prof. Cette étrange magie qui m’a sauvé la vie, cette onde de choc qui a tout retourné. J’ai lu des choses sur notre race, encore et encore depuis un an, mais je n’arrive pas à comprendre où est ce que j’ai pu piocher ce pouvoir. Il y a des légendes, certes. Des légendes sur ceux et celles qui descendent d’Éole directement, mais je ne peux être sûre. Jamais on ne peut être sûr. Éole est une légende, même pour nous qui sommes son peuple. Et puis, ça ne s’est jamais reproduit. De toute façon, je n’en ai parlé à personne et je ne pense pas que Cameron s’en rappelle, vu le coup sur la tête qu’elle a pris ce jour-là. Cameron… Voilà un autre sujet sensible, comme j’ai faillis coucher avec elle ce soir-là … Je m’en veux. Vraiment.

J’en ai marre. Ma main attrape le bord de la piscine et je me hisse à la force du poignet pour m’asseoir sur le rebord. Ma respiration est courte et je ne peux m’empêcher d’observer l’endroit, presque vide. Non, les autres sont tous au lac, je pense. Ils ont dû prendre les voitures pour aller profiter du soleil. Il n’y a que peu d’idiots à rester s’entrainer ici. Il faut croire que j’en fais partie. Je me relève et essore mes cheveux au-dessus de l’eau avant de me diriger vers ma serviette, puis, une fois enroulée dedans, vers l’étage du gymnase où se trouve le spa. J’ai besoin d’un massage pour tenter de me détendre et pour chasser ces idées noires.

Encore une journée comme toutes les autres à l'Institut. J'ai envoyé un message à Alan pour qu'on puisse se voir, mais je suppose qu'il est bien trop occupé pour répondre. Installée sur mon lit dans la largeur, la tête dans le vide et les jambes à la verticale contre le mur, je soupire. Ce sera pour une prochaine fois, cette soirée en amoureux. Du coup, je ne sais pas trop quoi faire en attendant la nuit. Je suppose que je pourrais faire mes devoirs, mais je n'ai pas la tête à ça maintenant. Trop barbant. Le club de dessin est fermé à cette heure et je n'ai plus de cours avant demain à 11h. Nouveau soupir. C'est vraiment le moment que je déteste le plus dans une journée, lorsqu'il est trop tôt pour se coucher mais trop tard pour faire une activité. Finalement, mon regard glisse sur le lit de ma colocataire, désespérément vide. Je me demande où Shaelin a bien pu encore disparaître. Elle fait beaucoup ça ces derniers temps, comme si elle cachait quelque chose. Même si elle est, en bien des domaines, ce qui se rapproche le plus de ma meilleure amie... Je n'ose pas tellement la questionner sur ce qui la tourmente, même si je me doute que la sévère marque de morsure sur la base de son cou y est pour quelque chose, dans une moindre mesure.

Bien décidée à retrouver la demoiselle, je fais une roulade en arrière et arrive souplement sur mes pieds nus. Un peu gênée, je jette un coup d’œil sur ma tenue. Je porte un vieux short de sport gris délavé qui m'arrive à mi-cuisse et un t-shirt très large de mon groupe de métal préféré. Hm. Bon. Peut-être qu'un effort vestimentaire s'impose ? Moi j'aime bien traîner en pyjama partout, mais il parait que certaines personnes se retrouvent parfois désappointées devant ce qu'ils appellent mon " manque de féminité et d'hygiène ". Pourquoi diable la notion de confort se retrouve-t-elle si étroitement liée à celle d'esthétique, dans ce monde ? Aucune idée. Baissant lamentablement les bras, je me rend dans la salle de bain pour prendre une douche hyper ultra méga rapide. De toute façon, comme j'ai eu que de l'eau froide, je risquais pas de m'éterniser. Il faudra que j'appelle Marcus pour ça, parce que le problème a l'air de n'arriver qu'à notre chambre. Quoique pour le fun, je pourrais demander à Shae de l'appeler. Ils se sont toujours bien entendu ces deux là. Ou plutôt on les a tous toujours bien entendus. Une serviette enroulée autour de ma tignasse, j'enfile une robe en viscose asymétrique couleur framboise. Lorsque je relâche mes cheveux, ils sont déjà sec et bouclés dans tous les sens. Rhaaaaaa ! Bon. Tant pis pour la brosse à cheveux. J'y vais comme ça et tant pis si je fais peur aux passants.

Tout naturellement, je prends la direction de l'endroit où j'ai le plus de chances de trouver ma meilleure amie : vers les piscine. J'ai jamais vue une fille spécialiste d'aérokinésie passer autant de temps dans un bassin rempli d'eau. Personnellement je ne sais pas nager et je panique dès que je dois mettre un orteil dedans. Limite une douche bouchée me flanque la trouille. Malheureusement, au bord de l'eau, je ne distingue nul part la silhouette de Shae. Agacée, j'utilise mon pouvoir de passe-partout pour visiter toutes les pièces aux alentours. C'est tout de même beaucoup plus rapide ! Je finis par la trouver, installée dans le spa, sur une table de massage, en train de se faire décontracter tous les muscles. Hmmm...ça c'est une idée ! Sans faire de bruit, je m'installe sur la table juste en face d'elle et la regarde, amusée. Elle semble complètement dans les vapes de bien-être. pendant de longues minutes je reste là, à l'observer, faisant signe à son masseur de ne pas la prévenir de ma présence. Ce n'est alors que lorsque Shae doit se tourner pour être mieux massée qu'elle ouvre les yeux. « Bouh. » Je dis avec un sourire de chipie, ravie de mon coup.

Ouais, clairement, il n’y a rien de tel qu’un massage pour décompresser après une longue et dure journée. Pour moi qui envisage un jour de devenir professeur d’Aerokinésie, autant dire que les entrainements sont épuisants, et encore plus parce que je suis uns sylphe et que je dois tout faire mieux que les autres. L’air est mon élément, celui dans lequel je suis née, et celui dans lequel je vais mourir, un jour, dans trois mille ans. J’espère sincèrement que je ne vais pas me retrouver face à un monstre démoniaque sortit tout droit des enfers les plus… maléfiques pour venir terminer ma vie de façon prématurée. Alors, oui, pour le coup, j’apprécie particulièrement les massages. Mes yeux sont fermés alors que l’homme dénoue mes muscles… Oh bordel, il a de ces mains celui là … Je n’ose même pas imaginer ce qu’il pourrait faire avec à d’autres endroits de mon anatomie. Bref passons. J’ouvre les yeux et relève la tête quand il me propose de me tourner, avant de tomber sur le visage de ma chipie préférée en tournant la tête. Ha bah c’est malin !

- Shey ! Tu aurais pu me dire que tu étais là ! Et vous aussi vilain cachotier ! Je tourne la tête vers l’homme avec un sourire qui dément mes propos avant de me re-intéresser à mon amie : ça fait longtemps que t’es là ?

Un instant je pense à ce qui aurait put se passer si j’avais proposé au masseur de retirer la serviette tout en gardant les yeux fermés… Oh mon dieu non. Pitié. Déjà qu’elle n’arrête pas de m’emmerder avec Marcus et le fait qu’on s’entende bien tous les deux… Bon, d’accord, notre relation est surtout sexuelle, et je n’ai aucune idée de ce qu’il peut avoir dans le crâne, ce fichu crocodile. Enfin bon. Mon regard se pose sur le plafond alors que le masseur s’occupe de mes pieds puis remonte lentement sur mes jambes… Je croise son regard un instant… Attendez, ça l’amuse en plus ? Horrible personne que voilà !

- Je suppose que tu me cherchais, Shey ? y’a eu un mort ? Encore ? Ou tu voulais juste passer du temps avec ta sylfe préférée ?

Je pouffe de rire en voyant la surprise sur le visage de Shaelin. Mon amie n'est pas du genre à se laisser surprendre, alors je suis particulièrement fière de mon coup. De plus, mon empathie fonctionnant toujours à plein régime, je ne peux que constater l'effet que le masseur lui fait et la gène qu'elle ressent à me savoir spectatrice de cela. Cependant, je ne suis pas mal à l'aise, je trouve ça parfaitement naturel. Moi-même, je ne dirais pas non à un peu de détente sensuelle si mon fiancé était présent. Malicieuse, je fais un petit clin d’œil au masseur qui n'a pas l'air de se sentir mal dans cette ambiance. En fait, je peux même sentir que ça l'amuse beaucoup. Je hausse les épaules en réponse à la question de ma meilleure amie. J'ignore ce que " longtemps " peut signifier à ses yeux. Après tout, le temps est une notion bien vague, car il s'écoule de façon différente pour chacun, comme lorsque l'on s'ennuie ou s'amuse. « J'sais pas. Suffisamment. » Je réponds en faisant un sourire de chipie. Elle sait de quoi je parle. Shae sait toujours de quoi je parle lorsque je fais des sous-entendus. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous entendons si bien. Un jeune homme s'approche alors de moi, une serviette et un pot d'huile de massage dans les mains. Il me propose gentiment de me masser, chose que je ne peux évidemment pas refuser. Après cette vilaine douche froide que je me suis prise tout à l'heure, un peu de chaleur ne pourra faire que du bien à mes pauvres petits nerfs tout coincés. « Je reviens » Dis-je à l'attention de mon amie avant d'aller me changer dans les vestiaires. Ceci fait, je m'installe sur la même table, agréablement enroulée dans la serviette chaude et moelleuse à souhait.

Je ferme les yeux et soupire d'aise en sentant le masseur faire rouler avec expertise ma peau entre ses doigts de fée. Je ne me souviens même plus de la dernière fois que je me suis fait dorloter de cette façon. J'avoue être facilement négligente avec moi-même, autant vestimentairement parlant qu'au niveau de la santé. Pourtant, je sais que c'est important et Alan ne rate jamais une occasion de me le rappeler en s'inquiétant. J'y suis pour quelque chose si j'ai d'autres priorités que l'assortiment de mes chaussures avec mon sac à main, ou la douceur de ma peau ? Non. J'ai d'autres chats à fouetter. Pourtant, en cet instant, je me trouve bien stupide de ne pas être venue avant. Ce type est un véritable dieu du massage. Je sens mes nerfs se dénouer un par un en dégageant une délicieuse sensation de chaleur. Avant d'être complètement évanouie sur mon nuage, je profite du calme et de l'absence d'autres clients pour discuter du problème de douche avec ma colocataire. « Hé Shae, l'eau de la douche est encore glacée. Je comprends pas, pourtant j'ai interrogée Lucy en cours de dessin, il semblerait que les autres chambres n'aient pas de problème... » Je laisse l'information monter lentement à son cerveau engourdi par le bien-être. Lorsque je sens qu'elle commence à deviner ce que je vais lui demander, je lui coupe l'occasion de m'envoyer balader en la précédant. « Tu pourrais demander à Marcus de passer voir. » Je dis en lui faisant un regard entendu. J'avoue, c'est un coup bas et ce n'est pas dans mes habitudes de jouer le rôle de Cupidon, mais franchement ces deux-là iraient bien ensemble, j'en suis persuadée. En plus, je sais que le nixe apprécie beaucoup Shae...et réciproquement.

Suffisamment ? Mais c’est quoi cette réponse ? Sérieux… Bon, je sais parfaitement ce qu’elle a voulu dire par là. Elle n’est pas ma seule amie en dehors des deux sylfes qui sont arrivée à l’Institut avec moi pour rien. Mais, quand même. Ça suffit. C’est… gênant. Totalement gênant. Mon regard se pose sur elle, avec cet air qui veut dire « hey, je ne joue pas », mais je l’oublie bien vite alors que le masseur s’occupe de mes pieds et remonte sur mes jambes. Bon sang, c’est bien trop… Bien trop érotique là. Ses mains massent sous la serviette, à quelques centimètres de ma fleur personnelle, et je ne peux m’empêcher d’avaler ma salive avec quelques difficultés en voyant son sourire. Non mais ho. Il va arrêter là ? C’est à ce moment-là qu’un autre masseur entre et propose à Shadow de s’occuper d’elle. Les deux ressortent durant quelques minutes pour aller se changer. Heureusement pour moi, le vestiaire est au rez de chaussée, et j’ai donc un peu de temps pour remettre en place mon propre masseur qui semble particulièrement s’amuser de la situation :

- Pas en public !
- C’est pourtant tellement amusant…
- Pas pour moi. Shadow est une empathe, elle ressent tout ce que les gens autour d’elle ressentent. Tu veux vraiment continuer ? Lui faire ressentir toute cette… énergie sexuelle
- T’es pas drôle, Shae.
- J’ai jamais dit que j’étais drôle.

Il recommence donc à me masser, normalement cette fois, alors que Shadow rentre dans la pièce avec son masseur. Le mien a presque finit, passant sur mon ventre et remontant jusqu’à mes épaules pour une dernière séance de massage. Finalement il laisse retomber ses bras le long de son corps et me tire un petit sourire avant de sortir de la pièce en souhaitant me revoir bientôt. Mais bien sûr. De toute façon, j’ai l’intention de le rejoindre tout à l’heure, histoire de terminer cette détente extérieure par un massage un peu plus interne. Mais, passons. Pour l’heure, je rajuste mon peignoir et m’installe en tailleurs pour observer ma colocataire quelques secondes :

- Encore ? Non mais… Je vais finir par croire qu’il le fait exprès pour que j’aille râler… et m’avoir dans son pieu celui là…

Le masseur tourne la tête vers moi avec un sourire amusé, mais il ne dit rien. Tant mieux, parce que je ne suis pas d’humeur là. Je croise les bras et observe Shadow :

- Bon, c’est loin d’être un mauvais coup, mais à force de coucher avec lui, je vais avoir des soucis avec Ruby… C’est un peu son petit toutou en ce moment, et je ne suis pas sûre qu’un dragon multi millénaire apprécie qu’on touche à ses jouets.

La réaction de ma meilleure amie est immédiate et je m'en délecte complètement puisqu'elle met directement les deux pieds dans le plat. Je souhaitais effectivement parler de sa relation avec Marcus, alors tant mieux si c'est elle qui entame le sujet. Un petit rire m'échappe quand elle commence à se plaindre. Mouais, comme si ça la dérangeait vraiment ! Faut pas me prendre pour une imbécile non plus, on est dans le même dortoir et je suis empathe, juste pour rappeler. Je lèvre les yeux au plafond cependant sans l'interrompre puisqu'elle est bien partie pour utiliser le joker " Ruby " comme à chaque fois.Je hoche la tête en réponse à ses paroles, bien que je connaisse déjà par coeur son discours. « C'est une dragonne, c'est pas comme si elle avait des sentiments amoureux. Tu connais Ruby, elle ne va pas tarder à se lasser de son jouet. » Je dis sur un ton blasé. Faut admettre que notre directrice n'est pas la femme la plus émotionnelle du monde. Mais c'est peut-être ça qui en fait justement une excellente directrice ? Au moins y a pas de favoritisme, c'est une peau de vache avec tout le monde de façon égale. Concernant Marcus, l'avantage, c'est que la situation est claire, il a le caractère d'un gremlin et je doutais qu'il soit capable d'aimer sincèrement, jusqu'à ce que je croise son regard qui détaillait Shae au détour d'un couloir. Il est mordu d'elle, j'en suis persuadée.

Mon masseur fait rouler un nerf tout coincé entre ses doigts et je couine en me crispant avant de me détendre complètement une fois le nœud évanoui. Ces types ont un don pour transformer les gens en flans, ma parole ! Je me sens si molle que je ne pourrais probablement pas me lever maintenant, même si je le voulais. En plus, j'en ai pas envie. Je reporte mon attention sur mon amie et hausse les épaules. « Franchement, y a un truc entre vous, tu vas pas me dire que tu l'as pas senti ? » Je demande avec méfiance. Je pense qu'elle l'a obligatoirement senti elle aussi, mais par contre il y a de fortes chances pour qu'elle soit en train de se voiler la face. Shaelin n'est pas une fille que j'imagine en couple. Ou en tout cas, pas avec n'importe qui. Ceci dit... Marcus n'est pas n'importe qui. Même moi qui suit heureuse et fiancée, il m'arrive de le trouver séduisant lorsqu'il n'est pas en train de râler. Malheureusement, dès qu'il ouvre sa grande gueule, la magie s'échappe comme un pet sur une plaque de verglas.

Oui, justement, je connais Ruby. Et il est hors de question que je me la mette à dos. Je soupire en observant Shadow avant de poursuivre : En fait, je n’ai pas l’intention de marcher sur ses plates-bandes. Tant qu’elle voudra avoir Marcus dans son lit, je le lui laisse. J’ai mes propres jouets après tout. Un regard vers la porte d’où a disparut mon masseur et je hausse un sourcil tout en me mordillant la lèvre d’une façon relativement sexuelle. Mon regard se repose ensuite sur Shadow, allongée devant moi et je grogne un instant en voyant son air plus que blasé : J’aime bien Marcus, il est cool et il sait me faire grimper au plafond. Mais franchement, y’en a d’autres dans cette école avec le même genre de talent. Y’a ce mec en fillière d’armement. Il a des doigts de pianiste. J’te jure c’est un vrai régal. Ouais, pour le coup je suis loin d’être amoureuse de lui. Il me plait, c’est sûr, mais j’ai du mal à me dire que je vais passer ma vie avec lui. Surtout qu’il doit me rester dans les 2800 ans à vivre. C’est long deux mille huit cent ans avec la même personne. Alors avec un râleur comme Marcus ? J’suis pas certaine que ce soit une bonne idée.

Un truc entre nous deux ? Arrête, j’ai vingt-cinq ans, et lui … au moins deux cent. Quel truc est ce qu’il pourrait y avoir entre nous deux ? Il est beaucoup trop vieux. Et il a tout le temps les pieds glacés en plus. C’est un truc de fille ça ! je grogne. Rien qu’à cette idée j’ai froid. C’est les filles qui se blottissent contre leur mec parce qu’elles ont froid. Ce mec est un glaçon la plupart du temps. C’est pas du jeu. Je ris un coup tout en levant les yeux au ciel. C’est un bon coup, mais tu sais que j’ai une longue durée de vie devant moi. Je me vois pas fiancée, mariée et encore moins avec des enfants. C’est trop… Berk. Des gamins qui chient dans leur couche. Quelle horreur. Et lui il en a déjà deux. Je refuse d’être une belle mère. Et surtout pas comme dans Cendrillon. Je les aime bien ces gamins, mais de loin. De très loin. Il est sexy. Y’a de l’attirance. Mais pas de l’amour. Et je suis à peu près sûre de ne pas réussir à tomber amoureuse un jour. Je suis pas programmée pour ça !

Je soupire alors que mon masseur s'en va après avoir fini son boulot, mais je reste encore un peu allongée, profitant de cet instant de pure détente. Malheureusement, je ne reste pas longtemps dénouée car Shae se lance dans une longue et pénible série d'excuses et de justifications qui devraient prouver qu'elle ne ressent rien pour le concierge. Honnêtement, je n'en ai pas grand chose à faire, je disais surtout ça histoire de causer et parce que j'aime particulièrement l'embêter à ce sujet... Mais là non, franchement j'ai pas envie de savoir que Marcus l'indispose au lit avec ses pieds froids ni que ses doigts ont une exceptionnelle dextérité. Enfin j'imagine que je devrais être habituée depuis le temps que je vis en compagnie de la sylphe. C'est ma meilleure amie, même si nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d'ondes. Je grommelle en me redressant, m'enroulant dans une serviette blanche histoire de ne pas être complètement nue. Plusieurs cicatrices barrent mes bras et mes jambes, ce qui a tendance à me complexer beaucoup. Il n'y a qu'avec Alan que je me sens à l'aise. Même Shae me met parfois mal à l'aise. « Écoute, de toute façon ta vie privée me regarde absolument pas. Si tu veux pas sortir avec le concierge, tu fais ce que tu veux. J'ai simplement donné mon avis extérieur. » Je dis en attachant mes cheveux maladroitement en une queue de cheval absolument pas esthétique. Je laisse passer une minute de silence, comme si je réfléchissais à quelque chose. En fait je fais surtout ça régulièrement pour écouter ce que mon empathie me dit. Après ça, je me tourne vers Shae. « Tu sais, tu fais ce que t'as envie avec le concierge, mais ça arrange pas le problème d'eau glacée. » Je dis en souriant. J'aime bien l'embêter. J'aime vraiment ça. Une partie de ma joie de vivre quotidienne tient de nos discussions entre filles.

D'ailleurs, en parlant de chose glacée, je commence à pas avoir très chaud dans cette tenue, sans parler du malaise qu'elle me fait ressentir. « Je reviens, réfléchis-y s'il te plaiiiiit... » je dis. Puis sur ces mots, je traverse le sol pour atterir souplement dans le vestiaire directement. Dans mon casier, je récupère mes vêtements que j'enfile rapidement. Dans cette carapace de tissus, enfin, je me sens libérée d'un poids. Les massages c'est bien joli, mais je viens enfin de me souvenir pourquoi je ne fais pas ça plus souvent. Il faut être déshabillée. Et je n'aime pas ça. Vraiment pas. Je ramasse donc mon sac et remonte rejoindre Shae. « Bon, je comptais aller boire un verre à Moonlacre. Tu viens avec moi ? On pourra parler de ce mystérieux micro-climat qui sévit dans notre chambre... »

Je lève les yeux au ciel quand la demoiselle en face de moi me rembarre en me disant que ma vie privée ne la regarde pas. Hey, c’est elle qui a lancé le sujet. Elle ne peut pas non plus espérer lâcher une bombe et ensuite me renvoyer chier parce qu’elle n’a pas envie d’entendre la réponse. Bon, pour le coup je suis un peu vexée. Je grommelle dans ma barbe avant de lever les yeux au ciel et la regarde disparaitre dans le sol. Bon, c’est quelque chose que je n’apprécie pas vraiment, quand elle fait ça. Elle ne doit pas aimer quand je peux me téléporter n’importe où de son côté, d’ailleurs. Je me retourne et récupère mes vêtements que j’avais laissés dans l’entrée de la pièce. Je me rhabille, commençant par l’ensemble en dentelle rouge et noire. J’enfile une courte robe en laine jaune par-dessus, et une paire de longues chaussettes. Je mets ensuite une paire de talons gris et j’ajuste mes cheveux sur mes épaules, au moment où Shadow entre dans la pièce à nouveau. Mon regard se tourne vers elle et je hausse les épaules quand elle me propose de venir à Moonlacre avec elle. Une autre fois, peut être. J’ai envie d’aller terminer ce que j’ai commencé avec mon masseur avant que tu ne débarque… Je lui lance un sourire amusé et je secoue la tête de droite à gauche. Mais, nous pourrons discuter de tout ça plus tard si tu veux. Ça fait tellement longtemps que ça dure que, soit Marcus le fait exprès, soit… Soit il y a un farfadet nommé Ulricus qui s’amuse avec nos nerfs. Je m’avance, dépose un baiser sonore sur la joue de Shadow et lui passe au travers pour me diriger vers le couloir. Alors, il est où, mon masseur ?