La gamine étant à l’école depuis quelques jours maintenant, j’ai les journées de libres pour ma petite personne. Je peux réellement m’occuper de moi. Hier, c’était manucure. Avant-hier, épilation complète. Et il y en avait besoin, clairement. Pas que ça me tienne franchement à cœur, vu que je suis du genre célibataire pour l’éternité, mais bon. Je n’aime pas tant que ça les poils. Et, le jour où j’ai laissé Lenaïs partir pour l’école, j’ai revu totalement ma garde-robe. Autant dire que je fête mon retour à la vie célibataire.

Oh, mes Valkiries ? Elles sont bien installées dans les catacombes. Et, elles n’ont pas besoin de moi. Je passe les voir tous les matins avant de m’occuper de ma vie personnelle. Aujourd’hui, après avoir embrassé Svéa et donné quelques consignes qu’on s’attendait à me voir donner, je suis passée prendre une bonne bouteille de vin, des sandwiches de ma boulangerie préférée et je me suis téléportée à l’immeuble des Chasseurs. Là, je suis passée devant la secrétaire comme si j’étais chez moi et je suis entrée dans l’ascenseur et je me suis rendue au dernier devant le bureau de Nikita. Personne. Mais, au travers de la porte vitrée de la salle de réunion juste en face, je l’ai aperçut, seul face à une carte avec plein de points route. J’ai ouvert la porte, puis frappé contre celle-ci et levé mes sacs en plastique. Il est temps de faire une pause. J’ai pris ton préféré. Etrangement, j’ai de moins en moins l’impression que je vais mourir en étant dans la même pièce que lui. Pour le coup, c’est presque une bonne chose. C’est pour te remercier d’avoir inscrit Lenaïs à l’Institut.

Fais pas cette tête, j’suis passée par la porte… Mais je crois que la secrétaire a tellement l’habitude de me voir trainer dans le coin qu’elle s’étonne même plus de me voir venir, maintenant. Je lui lance un sourire plus qu’amusé et hausse les sourcils, faisant mine de réfléchir. Ou alors tu lui as dit de me laisser passer… Comme c’est attentionné. Heureusement qu’il a pris mon sandwich et déjà commencé à manger, parce que sinon, il me sauterait dessus pour me mordre, j’en suis sûre. Je m’installe en tailleurs sur la table et fouille dans le sac pour sortir un second sandwich… Encore pour lui. J’en ai pris deux. Il mangeait tellement quand on était ensemble… Pour le coup, j’ai jamais compris comment il réussissait à  manger tout ça quand moi je dois me battre contre mon poids.

Bien sûr que je dois te remercier. J’hausse les épaules et sort mon poulet-crudité et croque dedans. Un délice. T’as la chance d’avoir eu une épée toi. Je donnerais n’importe quoi pour avoir eu l’épée. Et ça pourrait être une épée en bois, je dirais la même chose. Je soupire tristement et fais une grimace. Nikita me demande ensuite comment va la gamine et je hausse les épaules : Aussi bien que possible. Elle s’amuse comme une petite folle à l’école, et le mieux c’est que je ne la vois que quand elle rentre le soir. Décidément, la fibre maternelle et moi… Elle s’est déjà fait des amies. Et, elle ne semble pas si bizarre que ça là bas, visiblement. Moi par contre… Je fais une grimace amusée. Le garde qui est à l’entrée n’arrête pas de me jeter des regards suspicieux. Un court silence et puis : Ou alors il me drague ? C'est possible ça, tu crois ?

J’ouvre la bouche quand il ne répond qu’à la dernière partie de ma diatribe avant de la refermer, pour le coup un peu surprise. Je pousse un soupir et passe la main dans mes cheveux, mal à l’aise. Je baisse les yeux vers le sol puis croque une nouvelle fois dans mon poulet crudité. Je le laisse parler jusqu’à ce qu’il change brusquement de sujet pour demander des nouvelles d’Excalibur. Je secoue lentement la tête de droite à gauche. Les légendes ne servent à rien, et rencontrer de très vieux feys dans les catacombes n’a pas été plus utile. Si seulement Lenaïs voulait bien répondre à mes questions… Mais cette gamine n’en fait qu’à sa tête. Je vais finir par être obligée d’aller poser mes questions à Mirisa. Et, ce n’est clairement pas ce qu’il faut. Elle va encore trouver le moyen de m’envoyer faire la larbine à l’autre bout du monde pour son bon plaisir. Une très belle femme. Je répète machinalement ses mots tout en observant mes doigts. Un sourire monte à mes lèvres et je souffle légèrement. Je redresse les yeux et contemple l’homme droit dans les yeux durant quelques secondes. Mon regard d’or plonge dans le sien et je finis par lâcher un truc que je n’aurais jamais dû lâcher. Mais pour toi je ne suis qu’une meurtrière.

Je me redresse et jette mon sandwich à moitié mangé à la poubelle. Je n’ai plus faim. Je me tourne ensuite vers Nikita Je vais contacter Mirisa. S’il y a quelqu’un qui peut me donner des informations sur ton bout de ferraille et cette gamine, c’est elle. J’espère que son paiement ne demanderas pas que je nettoie des écuries qui n’avaient pas vu une brosse depuis un siècle comme la dernière fois que je t’ai rendu service.

Et la fois où je t’ai emmené te faire soigner, hein ? Je me retrouve avec le loup qui me menace. C’est la première fois que je parle de Nikita ainsi, et je sais au fond de moi que cela ne sera pas la dernière. Je le laisse faire sans résister tout d’abord, mais ce qui me fait sortir de mes gonds, c’est quand il me renvoie que je ne suis qu’une meurtrière dans les dents. Il ne sait pas. Il ne sait pas la moitié des choses qu’il y a à savoir sur moi. Je pousse un léger grognement avant d’utiliser mes pouvoirs pour le faire tomber sur le sol. Je manipule sa gravité personnelle pour le faire peser si lourd qu’il ne me suffit que d’une vaguelette d’onde sur le sol pour qu’il s’écrase sur le dos, m’entrainant avec lui. Je n’avais pas anticipé cette partie. Je perds vraiment mon latin quand Nikita est dans les parages. Et mes réflexes. Je roule ensuite sur le côté et me redresse vivement. Je le tiens toujours collé au sol. Il est temps qu'il entende certaines choses à mon sujet. J’observe l’homme avec un profond mépris avant de cracher. Est-ce que tu as une seule idée de ce que j’ai pu vivre ? De ce qu’a été ma vie jusqu’au jour où j’ai enfreint toutes les règles et été exilée par les miennes pour ça ? Parce que j’ai pas pu te tuer ? J’ai tué mon premier homme à huit ans. J’ai été violée tous les soirs pendant un mois par ce salopard parce que c’était ma mission. Je l’ai laissé faire parce qu’on me l’avait demandé. C'était ma mission. Et je devais en être fière. Mais c'était faux. J'en ai jamais été fière. Je me dégoutais. Chaque matin je regardais mon visage dans la glace et j'avais envie d'en finir. Mais je ne l'ai pas fait. Parce que j'étais surveillée. Parce que j’ai été endoctrinée depuis ma plus tendre enfance pour être cette femme-là. Je suis née et j’ai été élevée pour devenir une arme. Et la seule mission que je n’ai pas menée à bien, ça a été toi. J’ai passé quatre cent putains d’années à tuer des gens sans jamais y prendre le moindre plaisir parce que c’était ce qu’on me demandait. Parce que c’était la seule chose que je pouvais faire si jamais je voulais survivre. Si je ne voulais pas que les miennes ne me tuent et ne laissent mon cadavre pourrir sur le bord d’une route. Je me relève et donne un coup de pied dans la poubelle pour évacuer ma rage. Si je le pouvais, je taperais sur Nikita. Mais il est hors de question que je m’abaisse à ça. Mon poing transperce la porte en verre et je contemple durant une seconde les éclats plantés dans ma main. J’ai jamais eu le choix. C’est la seule chose que je savais faire. Tuer. Encore et encore. Ma voix est pleine d’une tristesse que je n’arriverais pas à cacher même si je le voulais. Une part de moi sait que si je pouvais recommencer ma vie à zéro, je le ferais. Mais, je ne peux pas. Franchement, j’aurais préféré que tu m’achève. Ça aurait été plus simple. Aujourd’hui, ma vie est un tel merdier que je ne sais même pas comment il est possible d’en arriver là. Le seul homme que j’ai jamais réellement aimé veut me tuer, je me retrouve dirigeante de tueuses à gage que je n’ai jamais voulu être, mère d’un objet magique sans même savoir ce que mère signifie être. Je n’ai jamais eu de modèle maternel. Jamais. Dès que j’ai été en âge de marcher, on m’a mis des armes dans les mains.

Je me retourne vers Nikita après avoir agité une dernière fois ma main blessée. Un morceau de verre tombe sur le sol dans un petit tintement clair. J’observe l’homme droit dans les yeux. Je relâche enfin la pression de la gravité sur lui, lui rendant usage de son corps. Vas-y, tue moi. De toute façon on finira par en venir là un jour ou l’autre. Tu pourras même afficher ma tête sur la liste des dangereux criminels tués par vos services comme ça.