Ma main attrape le téléphone et dans un grognement je sors du salon, claque la porte et m’y adosse. Mes doigts pianotent sur le clavier tactile et un SMS part vers le téléphone de Nikita. Je ne suis pas censée l’avoir, mais voilà un moment que j’ai réussi à le récupérer dans son dos. Il ne fallait pas laisser trainer ses cartes de visites sur son bureau, mon petit Niki. Et oui. Et, ma mémoire quasi parfaite m’a simplement permis de le retenir. Maintenant que j’en ai besoin, j’espère juste qu’il n’a pas changé de téléphone. Si tu ne rapplique pas chez moi, je jure que je vais la tuer. Je rajoute l’adresse de la maison, puisqu’il ne la connait pas – j’ai déménagé depuis la fois où je nous ai téléporté chez moi, et nombre de personnes pensent que je vis avec mes Valkiries, dans les catacombes des fey. Mais, j’aime trop la lumière pour m’enfermer sous terre, d’autant que les illusions du roi Serhan ont été depuis longtemps détruites par sa mort. L’endroit est bien trop glauque pour moi.

Je sors ensuite dans la rue et m’installe sur le perron. J’hésite une seconde et me relève pour aller acheter un paquet de cigarettes. Je n’ai pas fumé depuis… Depuis que j’ai rencontré Nikita. C’était une sale manie, je le sais, mais j’appréciais le calme qui m’envahissait grâce à la nicotine avant un contrat. Revenue en quelques minutes chez moi, je m’installe sur le perron et allume ma cigarette. J’en tire une bouffée et lève les yeux au ciel.

Foutue gamine. Elle me demande à voir sa chère « Cal » tous les jours, et je n’en peux plus. Mais, pour le coup, ça pourrait tout simplement passer si elle n’ajoutait pas presque à chaque fois que je devais absolument faire venir Nikita ici pour qu’on vive tous les quatre. Mais pourquoi cette gamine se mèle autant de ce qui ne la regarde pas. J’écrase ma cigarette sur la pierre du porche et me laisse aller en arrière. Mon téléphone n’a pas reçut de réponse, et j’espère que Nikita va se décider à rappliquer avant que la gamine – à laquelle je n’ai toujours pas trouvé de nom – se décide à se rappeler à mon existence. Il vaudrait mieux pour elle qu’elle reste à dessiner dans le salon, même si le sujet de son dessin est le mariage de Nikita et moi.

Foutue gamine. Avec un grognement j’allume une nouvelle cigarette et la porte à mes lèvres, quand une voix retentit sur le côté.

J’arrêterais le jour où on se remettras ensemble. Narquoise, je relève les yeux vers l’homme et pousse un soupir avant de secouer lentement la tête de droite à gauche. Elle est insupportable. Cet aveux de faiblesse me coute. J’écrase la cigarette à peine entamée sur le Porsche et me décale un peu pour laisser de la place à Nikita s’il souhaite s’installe. J’en doute franchement, vu l’état de nos rapports actuels, mais je vais essayer d’être gentille avec lui au moins durant les prochaines minutes. Après tout, qui sait. Mon idée folle d’il y a quelques secondes finira peut être par se réaliser un jour. Ou pas. Je croise les doigts sur le bout de mes genoux et me laisse aller en arrière pour observer le ciel. Il va falloir que je m’explique. Mais, je ne sais pas par où commencer.

En fait, tout va bien aller pendant une heure, je commence, Elle va se comporter comme une enfant, presque normale : à faire un dessin ou à regarder la télévision. Et puis, la minute d’après, elle se change en tornade. Elle retourne toute la maison, appelle « Cal » à grands cris, et exige que tu vienne habiter ici. Pour le coup, ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Vraiment pas. Certes mon cœur est encore pris par le souvenir de ma relation avec Nikita, mais je ne suis pas de celles qui s’accrochent inutilement quand elles voient que l’histoire n’est pas forcément possible. Elle a encore fait une crise ce matin. Je secoue une nouvelle fois la tête de droite à gauche et me passe la main dans les cheveux pour les rejeter en arrière. J’en viendrais presque à vouloir que tu viennes vivre ici juste pour avoir la paix, même si ça veut dire que tu vas finir par me tuer bien plus tôt que prévu dans ta liste. J’en peux juste plus. Si nous étions dans un film à l’eau de rose, le contraire pourrait tout aussi bien se produire. Et puis, cette gamine n’a rien de normal. Elle n’est pas une enfant normale qui va grandir, se développer, aller à l’école. Non. C’est une créature magique. Et puis, je ne sais jamais comment l’appeler. « fourreau » c’est quand même super bizarre pour une gamine…

Un sourire acide monte à mes lèvres lorsque Nikita me dit de ne pas céder à ses exigences. C’est plus facile à dire qu’à faire, franchement. Je me mordille la lèvre inférieure, signe de nervosité extrême chez moi. Je n suis pas tout à fait sûre de savoir ce que je veux, et avoir Nikita en face de moi m’aide moins que ce que je pensais. Prends la en pension une semaine et on en reparle. Je grogne et lève les yeux au ciel avant de sortir une nouvelle cigarette de mon paquet. Je ne l’allume cependant pas, me contentant de réduire le papier en charpie sur mes genoux et d’envoyer le tabac voler aux quatre vents. Je n’ai aucune idée de pourquoi elle a voulu vivre avec moi. Peut-être parce que c’est une gamine et qu’elle a besoin d’une figure maternelle ? si jamais tu y étais allé seul, elle aurait sauté sur la première femme que vous auriez croisé et ça aurait été pareil. Ou alors, il fallait être deux, un homme et une femme, pour trouver cette épée ? L’idée m’a plusieurs fois effleuré l’esprit, et je me suis posé plusieurs fois la question. Arthur est censé l’avoir trouvé avec la Dame du Lac à ses côtés dans nos légendes, peut être que la Dame a récupéré la gamine et qu’Arthur n’a eu que l’épée ? Tout ça est trop de questions auxquelles je ne saurais répondre. C’est sûr que si elle n’aime pas, elle va me le renvoyer dans les dents jusqu’à la fin des temps, vu la façon qu’elle a de grogner quand ça ne lui plait pas… Je me redresse et sourit à Nikita. Je ne me détends pas plus que ça, mais bon… Il y a d’autres choses dont nous devons parler.

J’ai décidé de l’envoyer à l’école. A l’Institut. Je fais une grimace. Je n’y ai pas mes entrées, pas après avoir tenté de tuer Nikita ou encore fait tout un tas de sales choses en tant que chasseuse de primes, mais … Nikita lui pourrait. Tu penses que tu pourrais l’y inscrire pour moi ? Voir d’autres gens lui permettrait de se « normaliser », je pense. Et, l’Institut n’est plus à une bizarrerie près vu les étudiants qui y vivent. Alors, que le fourreau d’Excalibur vienne étudier avec eux... Je me mord une nouvelle fois la lèvre inférieure. En apparence, la gamine a 8 ans. Il existe des classes pour les enfants de cet âge en attendant qu’ils développent leurs pouvoirs et puissent entrer dans les apprentissages magiques. Mais, je n’ai aucune idée des dons de la petite. Elle s’est déjà téléportée une ou deux fois dans la maison, mais c’est tout. En plus, il faudrait qu'elle puisse rentrer le soir. Je ne me sens pas de la laisser dans l'Institut, vu qu'il est la cible de toutes les attaques des démons. Sauf que pour ça… Il faudrait.. Je n’arrive pas à le dire. Je ferme les yeux et espère ne pas me faire trucider avec ma dernière idée à la noix. Il faudrait faire passer Lenaïs – c’est le premier nom qui me soit passé par la tête – pour notre fille. Voilà, c’est dit. J’attends. J’ouvre un œil. L’autre. Je ne suis pas morte. Et Nikita n’a pas bougé. Je l’ai buggué ? Sûrement. J’ai moi-même eu du mal à en arriver à cette conclusion.

Sauter sur la première femme croisée aurait très bien pu être un véritable désastre. Si cette épée est bien excalibur – et à entendre Lenaïs l’appeler Cal à longueur de journée, j’allais finir par m’y mettre moi aussi – alors que les démons apprennent son existence serait un danger pour Nikita. Déjà qu’il a quelques contrats sur la tête, autant dire que je n’ai pas envie de voir l’épée tomber entre de mauvaises mains. Si ce que j’ai lu à son sujet est vrai, seul celui qui la tire du rocher peut l’utiliser. Néanmoins, entre les légendes et la réalité, il y a parfois un monde. Un énorme monde. Je suis d’ailleurs inquiète pour Nikita. Et s’il venait à être tué dans une de ces attaques-contrat ? L’autre fois, ça avait faillis, vraiment. Je baisse les yeux sur mes doigts noués, et une étrange sensation de vide emplit mon cœur. Alors, dans ce cas, j’aurais réellement foiré sur toute la ligne… Je pousse un léger soupir et lève les yeux vers le ciel bleu. N’importe quoi.

Ma proposition suivante me fait encore une fois douter du fait que ma tête va rester sur mes épaules. Je me mords la lèvre inférieure en signe de nervosité et mes doigts se crispent un peu plus. Comme si c’était possible. Je tourne le regard vers lui et plonge mes yeux ambrés dans les siens. Niki… Machinalement j’avais employé l’ancien surnom que je lui réservais. Sans comprendre comment, je me retrouve debout face à lui, une main sur son bras. Respire. Je le relâche et croise les bras, mal à l’aise. Où donc est notre ancienne complicité ? Partie en fumée par ma faute, évidemment. Lenaïs est un véritable trésor magique. Il faut la protéger. Je ne te demande pas d’accepter là, maintenant. Je me passe une main dans les cheveux, et soupire. Si elle n’est que ma fille, alors elle sera refusée. Je suis une light-fey, j’ai été fidèle à Serhan pendant des années et une ancienne tueuse à gage. On n’acceptera jamais la fille d’une telle personne dans l’Institut. La direction pensera que c’est une tentative des light fey de s’immiscer dans l’Institut ou alors que j’ai entrainé la gamine pour qu’elle vienne tuer quelqu’un de précis… Au hasard, Lucy Chevalier. J’y ai longuement pensé. Mon passé est aujourd’hui mon plus grand frein. Moi-même j’avais à peine huit ans pour mon premier contrat tu sais… Ma voix se brise un peu et je referme à nouveau mes bras autour de ma poitrine, une ombre sur mon visage. Cela fait partie des choses qu’il ne connait pas sur moi. Les Valkiries ont toujours vécu isolées dans leurs montagnes, n’en sortant que pour effectuer les missions qu’on leur donnait. Je ne peux pas effacer la longue ligne de sang qui me précède, et parfois je me dis que le fait que je ne connaissais que cette vie là avant de tomber amoureuse de Nikita n’est pas une excuse. Après quelques secondes, je reprends, ma voix un peu plus ferme. Si tu ne veux pas que je sois sa mère officielle, soit. Mais il faut que ce soit ta fille à toi. Il faut la protéger, et peu importe ce que ça nous coutera. Lenaïs est trop précieuse pour qu'on laisse nos différents personnels s’immiscer dans cette affaire.

Je hoche simplement la tête devant l’acceptation de Nikita. Quelque part, cela me soulage. Je baisse les yeux vers les pavés des marches et retiens un soupir. Je vais donc être – en partie – débarrassée de Lenaïs. En partie seulement car je ne la laisserais pas dormir là-bas non plus. L’institut est trop souvent sujet à des attaques. Je vais pouvoir m’occuper à nouveau de mes Valkiries, qui doivent se morfondre dans les catacombes. Certes, je les ai laissées entre de bonnes mains, mais tout de même… Je ne peux pas les laisser sans surveillance trop longtemps. Je ne veux plus les voir être des tueuses à gage, et je pense que le chemin sera long avant qu’elles arrêtent réellement de vivre cette vie.

D’accord. C’est tout ce que j’ai à répondre. Je n’ai pas grand-chose à dire de plus. Pour être franche, je crois même être totalement maladroite. Je ne suis pas certaine de savoir comment manier les mots. Nikita est sur le départ et moi… je vais devoir retourner là dedans, avec Lenaïs. Je vais devoir rentrer et voir quelle bêtise elle a bien pu inventer encore une fois. Je fais un pas en arrière et me tourne vers la porte. Niki… Merci. Je jette un regard par-dessus mon épaule et je continue, indécise. Tu me laisseras t’expliquer, un jour ? Ma main sur la poignée de la porte, je reste immobile, quelques secondes. Je pense ne pas avoir besoin d’expliquer plus en détail ce dont je parle. J’espère la réponse positive, sans quoi … Sans quoi je crois qu’entre nous, il n’y aura plus rien à dire. Plus rien à réparer.