En couchant plusieurs fois de suite avec Ruby pendant deux ans, je ne m'attendait pas à ce qu'elle ponde deux œufs et me balance deux bébés dragons dans les jambes. Être père, ça ne m'a jamais vraiment tenté, mais c'est pas comme si je pouvais faire machine arrière maintenant. Du coup, je me balade dans les couloirs, avec deux enfants qui me courent après en criant " Papa, papa ! Regarde ce que je sais faire ! " ou encore " Papa j'ai faiiiiim ! ". Mais qu'est-ce-que j'ai fait pour mériter ça, hein ? C'était pas assez de me faire bosser dans cette école de tarés, entouré de sales adolescents insupportables ? Il faut croire que non. Je tourne vers la droite et entre dans l'immense cafétéria. Moi aussi j'ai faim, alors hein, chacun son tour. A peine entrés dans la pièce, les deux petits monstres s'éloignent pour jouer avec à peu près tout ce qu'ils trouvent. « Restez là où je peux vous voir ! » Je leur dit avec le peu d'autorité que j'ai envers eux. Manquerait plus que je les perde tiens. Là pour le coup, je crois que Ruby serait capable de me griller avec des poivrons. Hmmm...des poivrons. Je m'attarde devant une assiette fumante de poulet sauce lait de coco, curry, ananas et poivrons. Miam. Je frotte mes mains de plaisir avant de me saisir du trésor culinaire. Heureusement que Mitonne est toujours là pour me remonter le moral.

En passant devant le frigidaire réservé aux adultes, j'attrape une bière entre mon annulaire et mon auriculaire. Du coin de l'oeil, j'avise une table où il reste une place. Ces fichus gamins se sont installés partout, pas moyen de manger seul dans un coin. Fort heureusement, cette place libre se trouve à côté d'un homme que j'apprécie la plupart du temps. Je dis ça parce qu'il lui arrive d'être mal luné. Et comme c'est également mon défaut principal...il arrive que nos rencontres fassent des étincelles. Cependant, de là où je suis, Constantine a l'air plutôt calme. Un petit sourire amical sur les lèvres, je prends une seconde bière et me dirige vers sa table. « Je peux m'installer ? » Je lui demande de façon sympathique, ce qui est rare venant de moi. Je tends la petite bouteille vers lui. « Je t'ai pris une bière. » Je conclus, comme si ça pouvait le convaincre de supporter ma compagnie quelques instants. Derrière moi, j'entend un bruit de flammes, un cri, suivit d'une odeur typique de cochon grillé. Hm. Je préfère ne pas me retourner, honnêtement. Je réparerai les dégâts occasionnés par mes enfants plus tard.

Installé dans un coin de la cafet, je laisse mon regard se poser sur les jolies formes d’une étudiante. Pas mal… Décidément, on est gâtés cette année. Quel dommage que la moitié finisse dans un cabinet de psy – enfin, du moment que ça n’est pas le mien – qu’un quart se fasse tuer et que le dernier quart prenne la fuite. Un rictus déforme mes lèvres. Notre monde est dangereux, il l’a toujours été, mais c’est réellement de pire en pire. Les démons sont à nos portes, et maintenant les humains ont semble-t-il décidé de nous traquer tous les uns après les autres. Pour ma part, je n’aurais aucun souci à en tuer un ou deux qui se placeraient sur mon chemin, mais j’en connais d’autres qui préfèreraient rester stoïque et nier. N’importe quoi. Tout ceci était à nos portes depuis bien plus longtemps qu’on ne peut l’imaginer, et rester stoïque n’est pas la bonne solution. Il faut contrattaquer. Manger ou être mangé. Tuer ou être tué. Voilà le monde dans lequel j’évolue depuis le jour de ma naissance.

- Vas y, pose tes fesses, et regarde-moi ça. J’adore l’été.

Mon regard reste posé sur la gamine qui vient de se baisser, laissant entrevoir un string en dentelle. Ouais, vraiment, j’adore l’été. Dommage que j’ai interdiction formelle d’y toucher… Si Marcus a de la chance de n’être que le concierge, moi je suis ce qui ressemble de près ou de loin à un prof dans ce foutu asile, et je me retrouve coincé par la règle du « pas toucher ». Un soupir monte à ma poitrine alors que je croise les bras. Gâchis. Enfin, il y a bien cette fille qui me plait, en dehors de l’Institut, mais je ne suis pas tout à fait certain d’arriver à lui faire assez confiance pour l’amener ici. Elle se méfie de moi autant que moi d’elle, même s’il nous arrive de flirter de manière occasionnelle ensemble. Huit ans de célibat, avec pour seule amie ma main droite, ça commence à faire long.

Je tourne la tête pour observer Marcus, laissant mon regard passer jusque dans mon dos, pour voir les deux gamins de Ruby observer une table qui flambe. Mitonne arrive, fort heureusement, pour tout éteindre et sa voix retentit dans la cafétéria pour reprendre les deux garnements, qui s’enfuient en courant vers le buffet afin de se servir de la viande crue et la manger à même le sol. Merveilleux.

- tu sais, je crois qu’à ta place, j’aurais pris le premier téléporteur pour l’autre bout du monde au lieu d’accepter d’élever ces trucs là …

Ravi d'avoir obtenue l'autorisation de m’asseoir, je pose mon plateau sur la table et mon cul sur la chaise libre. Intrigué, je suis le regard de Constantine et remarque le joli petit string blanc de la demoiselle devant nous. Ouaw. J'avoue, l'été c'est pas mal. Elles sont toutes là, saturées d'hormones, avec leurs mini-jupes et leurs décolletés plongeants... Comment ne pas avoir envie de participer à un concours de t-shirt mouillé, dans de telles circonstances ? Je ne crois pas qu'on puisse nous blâmer, quand on voit comment certaines s'habillent dans cette école... C'est de la provocation, un point c'est tout. Si elles veulent pas qu'on les mate, elles ont qu'à se couvrir après tout. Ma langue humecte mes lèvres et je me fais force pour ne pas me lever pour aller voir de joli petit fessier de plus près. « Miam. T'as une belle vue d'ici, c'est évident. » Je dis avec un sourire carnassier. Techniquement, ma dernière partie de jambes en l'air ne remonte qu'à deux ou trois jours, mais putain je pourrais le faire trois fois par jour si j'en avais l'occasion et le temps. Je décapsule ma bière en faisant apparaître une griffe de crocodile au bout de mon index. Celle-ci disparaît aussi vite qu'elle est arrivée, ce qui me rend particulièrement fier de contrôler si bien mon garou.

Derrière nous, les cris de Mitonne après les petits monstres me font grimacer. Bon, j'avoue, c'était prévisible, mais j'espérais qu'au moins Raphaëlle se tiendrait bien. Cela dit, c'est peine perdue lorsqu'elle décide de suivre l'exemple de son demi-frère. La remarque de Constantine me fait ricaner et je me tourne à temps pour voir ma fille avaler à même le sol un morceau de viande deux fois trop gros pour sa bouche. Oh mon dieu. Je préfère me retourner et faire comme si je n'avais rien vu. Sérieusement, avec un appétit pareil, ces gosses pourraient manger les jambes d'un adultes - les os compris - et se curer les dents après sans aucun problème de digestion. Blasé, je pince l’arête de mon nez entre deux doigts et soupire en fermant les yeux. « Déconne pas, j'y ai déjà pensé. » Je réponds à mon pote sur un ton fatigué. Être père de deux dragons rouges, ce n'était pas vraiment dans la liste de mes projets pour l'avenir. Malheureusement, c'est le genre d'événement qui prend un maximum de place dans le dit-avenir. Ça vit combien de temps un dragon exactement ? Beaucoup plus que moi, ça c'est indéniable. J'en déduis donc que je vais devoir m'occuper d'eux jusqu'à ma mort. Génial. Cependant, je me racle la gorge et fait un petit sourire attendri en entendant Raphaëlle dire à son frère qu'elle ne mangera pas la dame à côté d'eux, parce que ça causerai des soucis à " papa ". « Mais bon, que veux tu que je te dise... Je les aime ces bestiaux. » Je dis, avec un ton partagé.

Quelle vue. Mon regard ne quitte pas la demoiselle à peine vêtue qui gigote devant moi. Je m’adosse à mon dossier de chaise, un sourire goguenard sur le visage. Ha, ça, si elles ne voulaient pas être regardées, elles n’ont qu’à pas s’habiller comme ça. Je croise les bras et laisse mes yeux passer sur une autre, au décolleté absolument plongeant. Ha, l’été, comme le dit Marcus, c’est un des moments les plus agréables de l’année. Il suffit juste de s’installer au bon endroit, et de laisser le spectacle dérouler sous nos yeux. Il faut dire qu’avec les vacances estivales, même si une moitié des étudiants est rentrée chez eux, l’autre a préféré rester. Foutus humains, avec leur chasse aux sorcières. Bientôt, on n’arrivera plus à sortir d’ici sans avoir à subir des examens dans la rue pour vérifier qu’on est réellement humains et pas des sorciers. Un soupir de lassitude monte à ma poitrine et je croise les bras pour observer l’homme à côté de moi.

- Tu aimes ces bestiaux ? Sérieusement ? Ta gamine mange de la viande crue et se fout du sang partout sur le visage… Même moi je l’ai jamais fait, et pourtant je suis plus souvent couvert de sang et autres fluides que la plupart des dark fey de ma connaissance.

Choqué, moi ? Un peu. Parce qu’il en faut quand même pour me surprendre et là… Là je dois avouer qu’il a fait fort, le Marcus. Je pousse un soupir et j’observe à nouveau les deux gamins qui mangent leur viande crue à même le sol.

- Enfin, pour des animaux de compagnie, j’avoue qu’ils sont plutôt mignons… tant qu’ils se changent pas en dragons pour te bouffer.

Je hausse les épaules en réponse à la réaction de mon pote. Je comprends son point de vue, pour avoir eu le même jusqu'à y a pas si longtemps. C'est dingue quand on y pense, tout ce qu'il faut faire dans la vie comme conneries pour comprendre qu'on est pas aussi bien tout seul qu'on le croyait au départ. C'est pas comme si Ruby et moi avions une relation, mais le petit jeu qui s'était installé entre nous semble s'évaporer aussi vite qu'il était venu et j'avoue m'inquiéter de ce que je vais pouvoir faire de mes moments libres supplémentaires. M'occuper des enfants je suppose. Les enfants dont un seul est de moi, d'ailleurs. Je pose mon regard sur le petit dragon tout en pensant à ça. Raphaëlle est de mon sang, il n'y a pas de doute possible, mais son frère est de Lysandre, c'est indéniable. Pourtant, lorsque Ruby me l'a proposé, j'ai tout de suite accepté d'être une figure paternelle pour les deux, à condition de ne pas être mangé pour le goûter. Allez savoir ce qui m'est passé par la tête... Je dois être devenu fou. « Ils grandiront. Ils apprendront à mieux se comporter. Et quand ça arrivera, j'aimerais qu'ils se souviennent que j'étais là. » Je dis en soupirant.

Je détourne le regard des mômes afin de boire une grande gorgée de bière. Je grimace en déglutissant. « Rhaaa c'est tellement meilleur frais... Dire que j'ai pas le choix de la boire tiède. Ça me dégoûte. » Sérieusement, je donnerais beaucoup de choses pour ne pas avoir le système de chauffage corporel le plus débile et dangereux du monde. Et les choses ne vont pas s'arranger lorsque je ne pourrai plus compter sur la dragonne rouge pour remplir mes réserves de chaleur. Je grommelle et liquide la bière avant qu'elle ne soit encore plus chaude et encore plus dégueulasse. C'est à ce moment précis que ma fille arrive en sautillant, toute barbouillée de sang animal venant probablement su steak cru dévoré plus tôt sur le carrelage. Elle m'explique qu'elle et son frère ont envie d'aller voir leur mère, chose que je ne vais certainement pas leur refuser. « C'est d'accord, allez-y. Mais ne mangez personne et ne brûlez rien en chemin ! » Je doute que la fin de ma phrase ai été entendue car déjà les bambins courent dans les couloirs à la recherche de Ruby. Rappelez-moi, pourquoi j'ai signé pour ça, déjà ?

Marcus avec des gosses. Pour le coup, c’est totalement ridicule. Mon regard se pose dans le vide et je pousse un soupir. Mon regard est à nouveau attiré par une de ces filles vêtues bien trop court et une seconde durant je remercie cette société hyper sexualisée qui n’en a plus rien à foutre de cacher son corps et ou de montrer un minimum de retenue. Cependant, je secoue la tête à droite et à gauche. Celle-là, elle va finir par se faire violer par un démon. Ouais, ils grandiront. Tu me laisseras baver sur ta fille quand elle s’habillera comme ça, hein ? Je désigne une gamine en micro short et débardeur qui passe devant la table au même moment, un éventail dans les mains pour tenter de conserver un peu de fraicheur. C’est vrai qu’il fait chaud. Mais, d’un autre côté, il va falloir que je songe à leur dire que c’est ma faute si la clim est en panne. Cet été, j’avais envie de profiter de la vue. Alors, j’ai piqué une pièce et comme il n’y a pas énormément de réparateurs qui peuvent entrer dans l’Institut, ça prend du temps pour réparer tout ça. Je vais rendre la pièce d’ici quelques jours. Dans tous les cas, ton estomac la réchauffera, ta bière. Pour ma part, une skhol, de la bière à la vodka.

Les gamins rappliquent et je regarde l’échange avec un air impénétrable. Mes yeux jaugent la petite et son frère qui finissent par s’éloigner. Un rictus déforme mes traits quand il dit de ne manger personne. Je ne suis pas sûr qu’ils soient les créatures les plus dangereuses de l’Institut, surtout à cet âge. Un rire amusé et puis Même avec Ruby pour mère.

Je fronce les sourcils légèrement quand Edward me demande si je le laisserai baver sur Raphaëlle quand elle sera de l'âge de la jeune fille en mini-short qui est en train de passer devant nous de façon effrontée. J'aimerais pouvoir m'offusquer et lui dire que je ne laisserai jamais ma fille sortir comme ça de sa chambre...mais voyons la vérité en face, quand elle aura cet âge-là, elle sera capable de me brûler vif si je la contrarie. Elle portera donc bien tout ce qu'elle voudra et je pense qu'elle sera parfaitement capable de faire cuire ses parties génitales sur une brochette sans mon aide. Du coup, je ne prends pas vraiment de risques en acceptant. « Ouais pas de problème. Tu pourras baver. » Je dis en liquidant ma bière tiède qui finira effectivement chaude une fois dans mon estomac. Cela dit, ça ne change rien au goût dégueulasse que ça apporte à mes papilles. Quitte à absorber de l'alcool et l'avoir chaud dans mes entrailles, autant que ce soit bon au moment où je le consomme, non ? Y a pas de justice dans ce monde pour les crocodiles. La remarque de Constantine par rapport à la dangerosité des marmots que je viens d'envoyer chez leur mère me fait rire. « C'est sûr que face à Ruby ou le Kraken ou un Renard de feu... Pour le moment ils sont légers. Mais je dis pas que certains simples sorciers ne pourraient pas finir en kebab. »

Un moment de silence suit cette discussion. Je soupire et croise le regard d'une étudiante qui rougit en se mordant la lèvre inférieure avant de disparaître dans les couloirs. Pendant un instant, il me semble discerner dans son regard comme une invitation à la suivre. Peut-être que j'ai rêvé. Je me tourne vers Edward. « Eh vieux, je crois que j'ai un ticket... » Je marmonne en regardant la demoiselle qui attend devant la porte ouverte de la cafétéria. Une fois encore, elle me regarde, de façon plus insistante. Plus de doute possible. « Ouais j'ai carrément un ticket. Désolé j'vais te laisser. » Je dis en tapotant son épaule. Je lui offre une autre bière pour la peine et hausse les épaules en m'éloignant à reculons, l'air amusé par le coup de bol du destin. « Ce que femme veut... » La fille m'attrape par le bras et m’entraîne dans les couloirs. Je termine ma phrase en passant mon bras libre autour de ses épaules en la suivant vers sa chambre. « Femme obtient. »