Être une Chevalier, c’est loin d’être facile. Très loin, même. Être une Chevalier et à moitié démon, c’est encore pire. Il n’y a que très peu de demi-démons. La plupart finissent totalement démons. Est-ce que c’est ce qui va m’arriver ? Je n’en sais rien. Je ne veux pas le savoir. Mon regard est posé dans le vide, et je soupire légèrement alors que l’eau coule sur mon corps sous la douche. Aujourd’hui… aujourd’hui a été une dure journée. J’ai faussé compagnie à mon mentor dans les bas-fonds pour aller suivre une piste à laquelle je tenais, sur Sirius, mon père. C’est tellement étrange de l’appeler comme ça… J’ai réussi à m’en sortir. Mais, pas grâce à lui. Grâce à moi, et à cette magie démoniaque qui coule dans mes veines. J’ai tué un démon, parce que j’ai réussi, je ne sais pas comment, à me retrouver face à lui et à utiliser la magie démoniaque qui corrompt ce qu’elle touche. Je n’ai aucune idée de comment ça marche. Je n’ai pas l’impression que j’arriverais un jour à le contrôler. C’est comme ces marques, sur mon corps. Elles sont là, et je n’y peux rien. J’ai des tatouages illisibles partout sauf sur le visage, et je n’y peux rien. Quant à la seule personne qui pourrait me répondre, elle est aux abonnés absents depuis un an et demi, et moi je dois lui courir après, comme je peux.

Ha ça, il m’a bien tapé sur les doigts, mon mentor, quand je me suis pointée dans l’immeuble tout à l’heure. Il m’a suffisamment fait la morale pour un siècle. Et puis, il m’a envoyée sous la douche et je me suis isolée, toute seule, dans mon coin. J’ai nettoyé la plaie sur mon bras, et je me suis mise sous l’eau chaude durant de longues minutes, pour finalement ressortir et m’enrouler dans un peignoir. Je vais avoir des bleus. Il ne m’a pas loupé, le salaud. Mais, il est mort, maintenant, sans même me donner des informations sur mon père. Un des quatre généraux des Démons… Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça.

Je ressors des douches et passe dans le vestiaire pour enfiler un jean noir et un débardeur. Je m’assois sur un banc pour enrouler mon avant-bras dans un bandage et je pousse un soupir en constatant que, malgré la douche, le sang coule toujours. Bah. Je n’ai pas d’autre choix que de serrer les dents et attendre que ça passe. Dans le pire des cas, Ashley me réparera… Je termine donc le bandage et pousse un soupir en observant mon bras. Si seulement ça pouvait faire partir les tatouages… Mais non, ils resteront là. Ils restent toujours là. Quoi qu’il se passe.

Le bandage à peine fait, je soupire en voyant qu’il est déjà gorgé de sang. Je le défais rapidement, au moment où Seban entre et s’installe à côté de moi. Mon regard l’évite, parce que je n’ai pas envie qu’il me crie dessus. Je me mordille la lèvre, le regard rivé sur le sol, mal à l’aise. Je prends une inspiration et je le laisse me refaire le bandage alors qu’il parle. Je relève les yeux vers lui et je l’observe quelques instants, un air d’enfant prise en faute sur le visage, avant de pousser un profond soupir et de secouer lentement la tête de droite à gauche.

- Je suis une Chasseuse, affronter des démons c’est mon quotidien. Et tant que tout le monde aura l’interdiction de m’aider à en savoir plus sur Sirius, autant dire que je n’ai pas l’intention d’impliquer qui que ce soit. Tu sais comment elle peut être butée quand elle veut garder ses secrets.

Ma voix est cassante. J’en ai plus qu’assez que tout le monde me prenne pour une gamine incapable de se défendre. J’ai un pouvoir que je ne pourrais pas contrôler sans l’aide d’un démon, et le seul démon qui ne veuille pas me tuer, c’est Sirius. Mon père, donc. Sauf que personne ne me laisse l’approcher. J’en ai marre. Seban, en tant que Chasseur, est lié aux mêmes règles que tout le monde, et ma mère est son patron. Si en tant que fille de Sofia Chevalier, je peux me permettre de désobéir, lui, il ne le peut pas sans perdre son boulot.

- Seb, tu ne peux rien pour moi. Tu ne peux pas m’apprendre à contrôler la magie démoniaque qui coule dans mes veines. Tu ne peux pas lire plus que moi les marques qui me recouvrent le corps, et pourtant, on a déjà essayé des milliers de fois. La seule chose que tu peux faire, c’est me laisser tenter de trouver la seule personne qui puisse m’aider.

Mon regard gris argent attrape le sien et je l’observe durant quelques secondes avant de pousser un profond soupir et de secouer lentement la tête de droite à gauche. Je finis par avancer ma tête pour la poser contre son épaule, au bord des larmes. Est-ce de la rage ou de l’incompréhension ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, j’ai réellement besoin d’évacuer un coup la pression. D’habitude, je fais ça avec Mélisandre, mais pour le coup je ne pense pas qu’elle soit disposée à me subir une nouvelle fois… L’emmener en séance shopping avec la carte bleue de ma mère, ça va une fois par semaine, mais à la quatrième, elle n’en peut plus de me voir acheter de façon compulsive tout ce qui me tombe sous la main…

- Je … J’ai juste besoin que tu me fasse confiance sur ce point, Seb…

Les mots de Seban entrent dans ma tête mais je me refuse à le laisser m’amadouer. Même s’il s’agit là d’un dieu vivant, de l’homme de ma vie, il est hors de question de le laisser faire en sorte d’arrêter mes recherches. Elles sont trop importantes à mes yeux. Il y a trop en jeu pour que je le laisse m’arrêter. M’embobiner. Il sait si bien le faire après tout. Il lui suffit de me caresser la joue, de me déposer un baiser sur les lèvres et de poser son foutu regard bien trop pénétrant dans mes yeux pour que soudainement j’oublie tout ce qu’il y a dans ma tête. Toutes mes idées de vengeances et autres besoin d’action. Je dois m’entrainer encore un peu. J’évite son regard. Le bandage bien serré sur mon bras, je vérifie qu’il ne se tâche pas de sang. Non, visiblement ça va. Je saute sur mes pieds et fait face à Seban. Je me sens toujours toute petite face à lui. Je l’observe durant quelques secondes. Ici, chez les Chasseurs, c’est le seul endroit où je ne cache pas ces fichues marques. Les tatouages bougent sous ma peau et effectuent leur fichue danse. Je baisse les yeux vers le sol et secoue lentement la tête de droite à gauche. Tu veux venir ? Un moyen de me faire pardonner. Quelque part, je suis sûre qu’il avait l’intention de nous faire une petite soirée sympathique. Juste nous deux. Je relève les yeux. Je l’aime. Je l’aime réellement, même si je ne le dis pas à haute voix. Il y a en moi cette sorte de pudeur face aux sentiments. Je n’arrive pas réellement à m’exprimer là-dessus. Fichue famille. Je suis … Je suis aussi tellement… brisée, à cause de tout ça. Tellement cassée de l’intérieur… J’aime bien quand je m’entraine avec toi…

Avoir besoin d’exercice, ça non. Mais, quelque part si. Mon corps n’a pas besoin d’exercice supplémentaire, mais mon esprit a besoin de s’épuiser un peu. Je ne suis pas réellement certaine que ce soit une bonne idée, surtout avec mes blessures récentes, mais j’ai besoin de me défouler. Un peu. Alors, après le baiser de Seban, je me contente de lui retourner un sourire et de l’inviter à venir avec moi, juste avant de lui avouer que j’aime bien quand il joue les professeurs avec moi. C’est vrai, quoi. C’est l’homme de ma vie, mais surtout dans ces cas là, un guerrier millénaire qui a vu les arts martiaux et autres arts de combat évoluer. Sans compter qu’il a pu aussi apprendre le combat sur une autre planète, celle dont il est originaire. Hors de question de me passer d’une telle expérience, ça non. Alors ça tombe bien, entrainons nous !

Mais, sa réponse me fait lever les yeux au ciel. Bon… Je suis mal barrée. S’il a décidé de m’en faire baver… Bah, j’aurais au moins un massage ensuite pour me faire pardonner. Peut-être plus, d’ailleurs. Ce serait intéressant et une bonne manière de finir la soirée. J’avoue que je suis réellement contente de voir ce genre de chose arriver. Vraiment.

Une fois dans la salle, je m’arrête en plein milieu et je reste les yeux fermés durant quelques longues secondes avant de hausser les épaules. Corps à corps ? Je n’ai pas envie d’utiliser une des armes qui se trouvent sur les présentoirs. J’en ai pas envie. Du tout. Karaté ? C’est ma matière de prédilection, après tout. Je me mets en garde et plonge mon regard, sérieux, dans celui de mon adversaire.