Allongée sur mon lit, j’observe le plafond dans le noir total. Autour de moi, la pièce est silencieuse et je n’arrive plus à rester là. La journée a été longue. L’année aussi. Un soupir monte à ma poitrine et je me décide enfin à bouger de là. Je suis incapable de rester en place. Il y a trop de questions dans ma tête. Depuis ce voyage en Ecosse, j’ai du mal à dormir. Mes questions tournent encore et encore dans ma tête. Je pousse un soupir, le millième de la soirée. Mes pensées tournent et retournent dans ma tête et je n’arrive plus à rester calme. Qu’est-ce que ce nouveau pouvoir ? Pourquoi est-ce qu’il est là, maintenant ? Pourquoi est-ce que je n’arrive plus à utiliser aussi bien mes pouvoirs ?

Je finis par donner un coup de pied au drap qui me recouvre malgré la chaleur et je me lève. J’enfile un short par-dessus ma culotte et ne prends pas la peine de couvrir mes épaules. Le débardeur que j’avais pour dormir suffira. J’ai besoin d’aller faire un tour. Courir ? Peut-être… Je n’ai jamais eu peur du noir. J’attrape une paire de chaussures dans le noir, sans savoir si elles sont à moi ou à Cameron. De toute façon on fait la même pointure. Mon regard se fait distant un instant et puis je prends mon courage à deux mains pour sortir de la pièce.

La porte fermée, je me dirige vers l’escalier sans même un regard pour les tennis grises que j’ai prise. Penser à Cameron est douloureux. Si elle reste l’une de mes meilleures amies, je dois avouer avoir du mal à rester calme face à elle. On a couché ensemble, après tout. Et, on n’en a jamais parlé en un an et demi. Alors, certes c’était un fiasco, vu qu’elle m’a cassé le nez et qu’on a faillis se faire tuer par un vampire. D’autant que mon pouvoir bizarre s’est réveillé ce jour-là, que je l’ai à moitié assommée – et le vampire aussi – en la propulsant contre le mur, puis j’ai disparut toute la nuit avant de revenir au matin, toutes mes blessures guéries. Normal.

Quoi qu’il en soit, nous n’en avons jamais parlé, et nous avons continué comme si tout ça n’était jamais arrivé. Pourquoi est-ce que ça me travaille maintenant ? Parce que je perds petit à petit mes pouvoirs et que cela a commencé ce jour-là ? Peut-être. Un soupir monte à ma poitrine alors que je déboule dans la cage d’escalier pour tomber sur Alyona. On s’entendait bien, avant. Avant qu’elle ne disparaisse et ne revienne totalement brisée. Je passe ma main dans mes cheveux en entendant sa question et je finis par hausser les épaules.

- Laisse moi enfiler des chaussures et je viens avec toi. Par contre, je te préviens, moi j’y vais pour piller les réserves… Des trucs à oublier, et rien de tel qu’un peu de sucré pour ça.

Je m’installe donc sur la première marche pour enfiler mes chaussures et je me laisse aller quelques secondes à regarder dans le vide pendant que mes mains agissent toutes seules pour les lacer. Je finis par me relever et par suivre Alyona sans un mot dans les couloirs. Il n’est pas l’heure de nous faire prendre. Majeures ou pas, il y a des endroits où nous n’avons pas le droit d’être après certaines heures, et pour le coup le temps est passé depuis un moment. Je suis préoccupée, quelque part, par toutes ces choses qui grimpent dans ma tête et qui refusent d’en sortir pour faire des mots. Alors, oui, ce soir j’ai besoin de sucre, et potentiellement d’alcool pour oublier. Si je pouvais avoir les réponses aux questions qui explosent dans ma tête, ça m’aiderait. Enfin, pour ça il faut bien sûr pouvoir formuler ces questions.

- Je croyais que tu devais cuisiner.

Je tourne la tête vers Alyona avant de me diriger vers le congélateur pour sortir de la glace au chocolat et de la chantilly. Je fouille un autre placard pour trouver des langues de chat et m’installe sur un plan de travail, installée en tailleurs. J’observe Alyona qui s’affaire dans la cuisine avec son pot de mousse au chocolat tout en piochant directement à la petite cuiller dans le pot de glace. Je rajoute de la chantilly directement dans ma bouche et ferme les yeux pour apprécier le petit gout sucré de la crème fouettée. Miam.

- Insomnie, comme pour beaucoup de monde dans cette foutue école. Depuis quatre ans, on se fait attaquer en permanence, on se fait écrabouiller, enlever, torturer, on manque de mourir à chaque fois qu’on fait une soirée… C’est tout simplement impossible. Je n’en peux plus. Je ne veux plus me retrouver comme ça, face à ces choses là.

C’est la vérité. En partie. Une bout des milliers de choses qui tournent dans ma tête. Un sourire, presque un rictus, sur mes lèvres, je plonge ma cuiller dans le pot de glace. N’importe quoi, cette vie. J’aurais mieux fait de rester dans les montagnes de ma naissance plutôt que de me retrouver face à cette vie à la con.

Au départ, Alyona n’est pas super bavarde, et je dois avouer que cela me convient parfaitement. Je n’ai pas envie de parler moi non plus. J’avais juste envie de me retrouver seule, mais dans cette école, l’intimité n’existe plus réellement. On vit en communauté. Quelque part, j’ai hâte d’avoir fini mes études et de devenir officiellement professeur pour avoir ma chambre à moi. Enfin, je ne suis pas certaine de pouvoir être professeur ici. Celle qui m’enseigne est une immortelle et je suis bien certaine qu’elle n’a pas l’intention de quitter les lieux, surtout qu’elle y a l’homme de sa vie… Alors bon. Mais, je pourrais être son assistante. Ça me conviendrait. Ou faire des recherches sur l’Aérokinésie, ça marche aussi.

Je hausse les épaules quand elle me demande si je veux en parler : non, pas vraiment. Je n’aime pas cette impression de devoir partager chaque seconde de ma vie avec tout le monde. Non, je ne parlerais pas. Par contre, je lui lance la chantilly, refermée, pour qu’elle puisse en mettre sur sa brioche.

- T’as du chocolat partout, on dirait une gamine de cinq ans qui dévalise le frigo pendant que sa mère a le dos tourné.

Je l’ai fait, à l’époque, lorsqu’avec Cameron et Linda nous vivions encore en écosse, tout au nord du pays avec nos familles… notre village. Mon cœur se serre. Je n’ai jamais aimé cette façon qu’ils ont eue de nous oublier de la manière la plus facile possible : en nous remplaçant par des modèles plus jeunes, et avec les « bons » pouvoirs. Cameron Linda et moi-même sommes spéciales, et ce n’est pas cette onde de choc qui a explosé l’an dernier qui va me prouver le contraire. Cependant, si j’étais encore dans ma famille, dans mon clan de sylphes, j’aurais pu chercher dans les vieux grimoires une explication sur cette magie. C’était de l’air. Je le sais. Un pouvoir d’air que personne ne sait faire. Nos dons ont évolués au fil des siècles, certains ont disparu, d’autres ont été oubliés.

Je reste silencieuse, perdue dans mes pensées, à observer la glace et à la manger, avant de relever la tête quand la demoiselle en face de moi me demande où sont les ingrédients pour faire de la cuisine. Je hausse une nouvelle fois les épaules :

- Oh, tu sais, moi je sais juste ouvrir les frigos ici… Alors ne me demande pas de t’aider. C’est pas mon truc la cuisine, et je suis bien contente d’avoir quelqu’un pour la faire à ma place, en fait.

Un rire léger et je retourne à ma glace au chocolat avant de relever la tête en voyant Alyona avec un bocal d’yeux dans les mains. Je fais la même grimace qu’elle et finis par lâcher, totalement dégoutée :

- Tu sais, il y a des gens qui bouffent des trucs bizarres en fait, ici. On a pas mal de races donc…

Je réponds à Alyona avec un sourire quand elle trouve enfin la farine, et je lui fais signe de ne pas parler fort. Si jamais c’est l’autre idiot d’elfe qui passe dans le couloir, ce blond incapable du moindre humour. J’ai zappé son nom, pour être franche. Je ne m’amuse pas à retenir le nom des gens que je n’apprécie pas. C’est une perte de temps absolument inutile dans un monde où tout est tellement millimétré que je n’arrive pas à avoir la moindre spontanéité. Sauf ce soir. Sauf quand je me retrouve ici, avec Alyona qui fait la cuisine pendant que moi je mange de la glace à m’en faire exploser l’estomac.

Lorsque la demoiselle se rapproche de moi avec ses ingrédients, je pique le nutella pour plonger ma fourchette dedans, avec un sourire amusé. J’adore le nutella. De la glace vanille avec du nutella, c’est une vraie tuerie. Je ferme les yeux, vraiment rassasiée par ce festin. Bon, j’ai encore un peu de place moi. Et, il reste des langues de chat. J’en plonge une dans le pot de nutella et croque dedans. Non, ça va. Plus de chocolat. Je souris à la demoiselle qui s’installer et commence à faire quelques petites choses avec sa cuisine. Mon regard se pose sur le bol qui se remplit de tout un tas de trucs qu’alyona mélange sans même aller regarder dans sa recette pour vérifier comment on fait. La chance. J’aimerais bien en faire autant moi. Mais, pour le coup, je suis bien plus douée en chimie qu’en cuisine, même si la cuisine est, quelque part, de la chimie. Enfin, tout ça date du lycée, et maintenant je dois attendre de savoir si je peux devenir professeur ou pas dans cette fichue école. Pas question de rentrer dans mon pays, ou de revoir ma famille. Ils m’ont mise à la porte quand j’ai commencé à avoir des pouvoirs différents des leurs, alors même si j’ai un million de questions à la bouche, ils ne peuvent pas m’atteindre ! Et, tu vas en faire quoi de ce gâteau ?Attendez. Elle ne m'a pas dit si... Enfin, c'est un seul gateau ou plusieurs ?

J’éclate de rire avant de poser ma main sur ma bouche pour éviter qu’on entende trop mon rire quand Alyona se met à chanter en cuisinant. Non mais ce n’est pas possible. Elle chante super faux. Même moi je n’atteins pas ces sommets de nullité. Comme quoi, on peut être populaire, mais pas franchement doué partout. Pitié, mes oreilles. Mon regard se fait larmoyant. Allez, par pitié, arrête de chanter Aly. Tu peux le faire ! Je lui tire la langue tout en piochant à nouveau dans mon pot de glace. Je finis par le repousser et par sauter par terre pour aller le ranger au congélateur, avant de me décider à prendre une plaque entière de yaourts au chocolat. Du moment que tu cuisines mieux que tu ne chantes, je veux bien tester. J’ouvre l’opercule du yaourt et m’approche de la casserole. Je surveille le chocolat qui fond, et le retire du feu quand il commence à être bien fondu. Une cuiller à la main, je le remue pour en lisser le contenu, et je me retourne lorsque la demoiselle qui a décrété que cette nuit était celle des muffins revient. Je lâche l’objet et retourne à mon yaourt, un sourire sur les lèvres De rien voyons.

L’explication de la demoiselle sur le pourquoi du comment elle brise les règles me tire une grimace, et je finis par la menacer de ma cuiller. Constantine ? Sérieux ? Mais il fout les boules ce mec. C’est… Je recherche mes mots une seconde avant de secouer la tête de droite à gauche. C’est un fou furieux. Il est totalement barge. Et il est tout le temps couvert de trucs bizarres. Du sang. Du muscus visqueux. Et tout un tas d’autres choses absolument impossible à nommer. Vraiment, ce mec me fait peur. Et, il en faut pour faire peur à la sylfe que je suis. J’ai du mal à rester dans la même pièce que lui, pour être franche. M’enfin, si elle veut lui faire des muffins… Du moment que je peux les gouter. Et que tu ne m’empoisonne pas au passage, moi je m’en fiche de la raison pour laquelle tu fais tout ça. Je mange une nouvelle cuiller de yaourt au chocolat et soupire de contentement. J’adore ça. Vraiment. Bah, soit tu attends, et tu laisse ton estomac gargouiller, soit… Je lui désigne la plaque de flambys Bah, soit il y a tout ça à dévorer. Les pauvres, on ne va pas les laisser seuls quand même. Mais non. Elle préfère entamer un pâté en croute. À deux heures du matin. J’ouvre de grands yeux ronds et je pousse un soupir amusé. T’es pas sérieuse. T’as pas dîné ce soir ou quoi ?

Aucune allergie de mon côté, je me contente de hausser les épaules. Pour être franche, je ne sais pas de quoi Alyona est capable. On ne passe pas un an chez les démons sans en revenir un peu différent de ce qu’on était avant. Elle a bien passé un moment à s’isoler et à broyer du noir. Et puis, elle a donné naissance à un bébé démon. Du coup, je ne sais pas trop à quoi m’attendre avec elle. L’empoisonnement, c’est peut être bien une probabilité. Surtout envers Constantine quoi. Attends, tu fais des muffins pour le psy. J’ai le droit de m’attendre à tout hein. Le poison, le laxatif, rajouter du smecta dans la pâte, remplacer le sucre par du sel… J’crois bien que tu serais la seule à faire des vrais muffins toi. Enfin, pour lui quoi. Parce que, pour moi, j’espère bien que ça serait plus… agréable à manger. Mon regard se fixe dans le vide et je pousse un léger soupir avant de secouer la tête. Le psy quand même. Tu t’es mise au tir à l’arc ? C’est un truc de famille alors… Ta sœur est sacrément douée. Une vraie guerrière quand elle s’y met. Pour être franche, Mina peut être flippante des fois. Quand elle se met à tirer trois flèches en même temps qui vont sur trois cibles à la fois, et qui touchent chacune le centre, et ce à une cadence réellement impressionnante, alors je n’ai pas envie d’être à la place des cibles. Ça non. Mon regard se tourne vers le côté et je soupire un coup. Avec l’odeur de gâteau qui sort du four, j’ai réellement envie de me retrouver face à ce gâteau tout chaud. Et, comme pour répondre à mon envie, le four se met à sonner. Miam. Je saute au sol et suis Alyona, tel un petit chien, avant de la regarder avec attention démouler les gâteaux. Comment ça quelques minutes ? Penaude, je l’observe et soupire un coup, déçue. Quelques minutes ? autant dire réellement jusqu’à la fin du monde. Je me contente de sautiller sur place sans quitter les gâteaux des yeux. Allez, j’ai faim. Et j’ai envie de retourner me coucher.