La demoiselle était assise dans sa chambre sans fenêtres au sous-sol du bâtiment où elle vivait désormais. Elle en avait assez, vraiment assez, de ne plus voir le soleil. Elle espérait bien le revoir un jour, mais pour l’heure c’était compliqué. Vraiment. Parce qu’elle était morte. Pire que ça, elle était une vampire. Le soleil l’enflammerais immédiatement et elle ne pourrait pas profiter du spectacle. Machinalement, son regard cherche la fenêtre. Et après quelques secondes, elle repousse la couverture du lit dans lequel elle a passé la journée pour aller prendre une douche.

Lorsqu’elle était arrivée dans l’institut, après avoir dormis dans un cercueil chez son créateur puis chez l’incube qui s’occupait d’elle, elle avait regardé le lit avec quelques stupéfactions. Et puis, elle s’y était faite. C’était largement plus confortable qu’un cercueil.

La demoiselle quitta donc la chambre et son pyjama pour prendre sa douche. Une fois sous l’eau, elle ferma les yeux et lorsqu’elle les rouvre, elle poussa un cri strident et elle sortit de sa salle de bain puis de sa douche, toute nue, pour tomber dans les bras d’un mec qui passait par là. Mais qu’est ce qu’il foutait là celui là ? Y’A UNE ARAIGNEE ENORME Non, sans rire, elle faisait au moins quinze centimètres de diamètre. Elle tendit la main vers sa chambre, le regard exorbité, et elle tira le bras de l’homme pour l’amener dans sa chambre tue là, tue là !

Eugène n'aurait jamais cru rester aussi longtemps à l'Institut. Même s'l s'était engagé, en signant un contrat. Ce genre de chose ne l'aurait pas dérangé. Partir même en étant lié par un contrat était tout à fait le genre de choses que pouvait faire Eugène. Mais il se plaisait assez à l'Institut. Il y avait de l'animation, même la nuit. On ne s'y ennuyait pas. Et si Eugène détestait bien une chose depuis sa transformation, c'était de s'ennuyer.

Même si, techniquement, faire des rondes la nuit dans l'Institut n'a rien de réjouissant. Et voilà que sa journée à lui commençait. Il espérait que ce ne serait pas une soirée trop ennuyeuse. Comme souvent, il commença par faire un petit tour du sous-sol. C'était rapide. Ils n'étaient que deux locataires officiels dans ces lieux. Les rats et autres nuisibles ne comptaient pas.

Sans qu'il comprenne ce qui lui arrivait, il se retrouva avec une personne nue et mouillée dans les bras, qui lui criait même dans les oreilles à propos d'une araignée ? Et il se retrouva dans la chambre de la vampire.

- Tu sais qu'elle ne va rien te faire ?

Il luttait pour réprimer son envie de rire. Une vampire effrayée par une araignée.

- Les araignées sont utiles, tu sais.

Non, vraiment, il ne fallait pas qu'il rigole.

- Tu devrais t'habiller. Je n'ai rien contre les jolies jeunes femmes nues, mais ça ferait un peu désordre si quelqu'un débarquait. Je pense que tu as du réveiller la moitié des habitants. Et peut-être même un ou deux cadavres dans les placards.

Un petit éclat de rire lui échappa. Involontairement. Avant de se transformer en fou rire.

- Pardon, mais c'est mon meilleur réveil depuis... Oh facilement soixante-dix ans.

Bien sûr que si, elle peut me piquer. Lydia était encore très, très humaine. Elle songeait chaque jour à ce qu’elle allait manger au petit déjeuner. Et puis elle se rappelait qu’elle était vampire. Elle pensait à aller faire du shopping. Et puis elle se rappelait qu’elle était incapable d’aller au soleil. Elle avait toujours autant peur des araignées, mais aussi des insectes en tout genre. Cette peur était augmentée par l’impression qu’elle était morte, et donc que la suite logique pour elle était d’être dévorée par les vers. Et les insectes. Quoi qu’il en soit, elle se sentait encore très, très humaine. Trop peut être pour son propre bien. Je n’en ai rien à faire qu’elles soient utile. Tu vas me la tuer oui ou zut ?

Alors qu’il entrait dans la pièce, il lui rappela dans quelle tenue elle était. La jeune fille baissa les yeux sur sa tenue, ou plutôt son absence de tenue. Heureusement, elle était correctement épilée. Trois secondes de bug plus tard, elle cacha son intimité et sa poitrine avec ses bras. Non mais… Oui, c’était un peu tard pour avoir de la pudeur. Vraiment tard. Attends. SOIXANTE DIX ANS ? La demoiselle ouvrit grand les yeux puis elle attrapa son oreiller et se mit à taper sur le vampire en face d’elle avec. Vieux pervers ! T’as pas honte de te rincer l’œil ? Un nouveau coup. Et puis elle le poussa vers la salle de bain d’une main ferme. Occupe toi de cette immonde bestiole. Elle claqua la porte et s’y adossa, les yeux fermés. Voilà qu’elle se montrait nue à un vieux vampire libidineux maintenant. Sa vie était réellement en train de tourner au n’importe quoi. Elle attrapa un soutien gorge et une culotte qu’elle enfila rapidement avant de rajouter une jolie robe grise par-dessus. Bon, t’as fini ou tu t’es fait manger ? La demoiselle allait avoir besoin de se démêler les cheveux, maintenant.

Décidément la jeune vampire avait quelque chose contre les araignées. Mais Eugène trouvait ça plus drôle qu'autre chose. Même si l'araignée piquait ou mordait, elle ne risquait pas grand chose. Mais ça elle ne voulait pas l'entendre. De toute façon, l'araignée devait être bien plus effrayée.Puis, une fois qu'il eut dit son âge il se retrouva à se faire frapper à coup de coussin en se faisait traiter de vieux pervers.

- Eh ! C'est pas vrai. Je ne suis pas vieux.

Il lui fit un sourire en coin.

- Et c'est toi qui te trimballe à poils, tu ne peux pas me traiter de pervers du coup. C'est totalement impossible.

Après, si on se baladait nu devant lui, il n'allait pas regarder ailleurs non plus. Même si de son vivant ça aurait été le cas.

- Et non. Je n'ai honte de rien.

Il avait décidé de ne plus s'embarrasser de ce cas de figure là. Il se retrouva dans la salle de bain. Il fixa l'araignée.

- Ben ma vieille, t'as pas de bol, hein. C'est pas contre toi, mais je sais d'expérience que les vampires hystériques sont ingérables. Je vais te dire un secret toutefois, les vampires non-hystériques ne sont pas mieux.

Il entendit la jeune femme lui demander s'il avait fini ou s'il s'était fait manger. Il s'amusa donc à déformer sa voix.

- Non, j'ai mangé Eugène, maintenant c'est ton tour...

Il nettoya le carnage avant d'ouvrir la porte.

- Oh, tu t'es habillée. T'avais peur que le vieux croûton que je suis fasse un arrêt cardiaque ?

Il lui fit un large sourire.

- Tu t'es fatiguée pour rien, mon coeur ne bat plus depuis très longtemps.

Bien sûr que si c’était un vieux. Soixante-dix ans. Lydia n’en revenait tout simplement pas. Elle soupira tristement et le foutu dans la salle de bain en claquant la porte. Parce qu’elle n’avait pas l’intention qu’on continue à la regarder comme ça. Certes, c’était totalement sa faute. Mais, elle n’était pas non plus du genre à le dire à haute voix. Ça non. Notre jeune accroc au shopping aimait réellement se voiler la face, et depuis quatre ans qu’elle était vampire, il fallait le dire : elle était même devenue particulièrement douée à ce petit jeu. Personne ne lui a demandé de regarder, non plus. Elle grogna un peu et s’habilla rapidement.

Quelques secondes plus tard, elle demandait à l’homme s’il s’était occupé de l’araignée. La réponse lui fit lever les yeux au ciel. Je suis peut être arachnophobe, mais je sais que les araignées ne parlent pas. La porte s’ouvrit quelques secondes plus tard. Lydia avait les bras croisés et elle l’observait de haut en bas. Maintenant qu’elle était calmée, elle pouvait observer son voisin avec un peu plus d’attention. Déjà, elle savait qu’il était un vampire. Il n’y avait que des vampires à cet étage. Et, il s’appelait « Eugène », visiblement. Non, je n’avais pas envie que tu continues à me reluquer. C’est très, très malpoli. La jeune fille haussa un sourcil à la mention du cœur qui ne battait plus. Longtemps comment ?

Est-ce qu’il était de ces « vieux » vampires comme son créateur ? Lydia frémit en y pensant. L’homme l’avait pour le moins détruite en la transformant. Elle se mordit la lèvre inférieure. Elle n’avait pas du tout envie de tomber à nouveau sur un psychopathe. Ça non. Suffisamment vieux pour être devenu un véritable con, génie ? C’était le premier surnom débile qu’elle avait trouvé. Et, elle en était assez fière.

Eugène décida qu'il appréciait la jeune vampire. Ce qui signifiait qu'il allait probablement passer une partie de son temps à la taquiner bien gentiment. Ou un peu moins gentiment. Tout dépendrait de son humeur. Il fit mine d'être outré quand elle l'accusa de l'avoir reluquée.

- J'ai été transformé en 1942. J'avais vingt ans.

Ce qui lui faisait, en faisant grâce des quelques jours, près de 94 ans. Humainement parlant c'était un ancêtre. Vampirement parlant, c'était encore un "enfant". Mais il s'en foutait comme de sa première canine.

- Je suppute que j'étais déjà légèrement con avant. La mort n'a pas aidé... Eh, tu m'as appelé comment ? Génie ?

Il lui fit un grand sourire.

- J'aime assez.

Il se doutait que c'était sans doute un moment de l'agacer, mais il en fallait plus pour l'énerver. Heureusement qu'il ne se faisait plus appeler Evrard...

- Au fait, c'est quoi ton nom ? Parce que "La fille qui panique pour une araignée" c'est un peu long à dire.

Son sourire s'élargit encore.

- Sinon, je peux te trouver un prénom, mais tu risques de ne pas apprécier du tout.

Il se retint de rire. Il devait être le vampire le moins série de l'histoire des vampires. Un vrai bouffon.

MILLE NEUF CENT QUARANTE DEUX. Lydia n’en croyait pas ses oreilles. Elle ouvrit la ouche, la referma et elle soupira avec lassitude. Pour elle, autant dire que c’était au moyen âge. Littéralement. Elle grogna un peu et secoua la tête de droite à gauche. Elle avait envie de hurler. En fait, elle ne savait pas réellement ce qu’il se passait. Au fond, elle voulait juste retrouver sa vie d’avant. Mais, ça, elle l’avait compris depuis un moment : ce n’était pas la peine d’y songer. Elle leva les yeux au ciel. Fauché à vingt ans. Elle-même était à peine plus âgée que lui alors, mais elle avait l’impression que ça semblait être totalement impossible. De mourir. A cet âge là. Et puis, face à lui, elle faisait un peu n’importe quoi. Sa langue sortait plus vite les phrases que son cerveau.

Ah ça, je confirme, la mort ne t’a pas aidé. Quoi qu’il en dise, elle pensait tout de même qu’il était un sale pervers relativement narcissique. Et, le fait qu’il aime bien son surnom débile la fit bugguer une nouvelle fois. Ce n’était pas le but. Du tout. Elle se passa la main dans les cheveux et soupira avant de lui passer devant pour attraper sa brosse à cheveux et s’occuper de sa crinière. Lydia. Je m’appelle Lydia. Je bosse comme secrétaire de nuit ici… Je crois. Elle soupira. Et, de toute façon tu peux m’appeler comme tu veux, je n’ai pas prévu de répondre. Elle restait sur ses gardes. Elle ne savait pas trop quoi penser de lui. Elle n’avait pas envie de se retrouver face à un nouveau pervers narcissique, une de ces personnages fondamentalement mauvais qui l’avait manipulée, qui avait manipulé ses sentiments pour finir par l’attirer dans ce monde de malheur.

Eugène avait choisi de jouer la franchise avec la jeune femme, sur son âge. Mais cela n'eut pas l'effet escompté. Elle le prenait pour un vieux. Pourtant, il était encore très jeune. Et il ne se sentait pas vieux. Ce n'était qu'une façon de voir les choses après tout. Il prit aussi le parti de rire du surnom dont elle avait décidé de l'affabuler. Comme si les noms avaient de l'importance. Il avait eu le temps de relativiser.

- Enchanté, Lydia.

Il lui fit une révérence, un sourire moqueur vissé aux lèvres.

- Et je te signale que c'est toi qui a initié la conversation en m'apalgant en tenue d'Eve dans le couloir. Moi, je commençais tout juste ma ronde;

Il pouvait être galant, il n'allait quand même pas prendre le blâme pour quelque chose qui n'était pas le moins du monde de sa faute.

- Je suis le veilleur de nuit. Enfin. Pour l'instant. Tant que ça m'amuse, j'imagine.

Il sortit une vieille pièce de sa poche et commença à la faire tourner entre ses doigts.

- Les nuits sont relativement calmes à l'Institut Donc je n'ai pas grand chose à faire. Sauf genre en cas d'attaque de zombies. Franchement. Je n'aime pas les zombies. ça laisse des petits bouts partout. Un peu comme quand tu serres la main à un lépreux. Sauf que ledit léprux essayerait de te bouffer.

Et voilà. Maintenant, elle avait même droit aux révérences. La jeune fille avait l’impression d’être sortie de sa chambre en 2015 et d’y être rentrée en 1880. Environ. Elle avait l’impression que cet énergumène se fichait d’elle et elle n’avait absolument aucune idée de comment faire pour s’en débarrasser. Parce qu’il semblait réellement accroché à elle. Ou alors à la situation. Est-ce qu’il avait pensé qu’elle le mettrait dans son lit ? Elle n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien penser, et elle n’avait pas l’impression de savoir ce qu’il se passait, du tout. S’il n’y avait pas eu d’araignée, crois moi bien, je me serais passée de sortir dehors comme ça. Ce n’était pas son genre. Du tout. A vrai dire, la demoiselle était même du genre pudique. Alors, s’il pouvait éviter de remettre ça sur le tapis, hein. Ça l’arrangerais. Un peu. Beaucoup même.

Quand il parla de ronde, elle fronça les sourcils, et il lui expliqua rapidement qu’il était le veilleur de nuit. Donc, elle allait devoir, en plus, travailler avec lui ? Elle retint une grimace. Elle avait comme l’impression qu’il n’allait jamais la laisser tranquille. Pas après cette entrée en matière pour le moins originale. Elle sentait réellement qu’il allait en baver, avec cet énergumène.

Des zombies ? Parce que ça existait aussi ? Comme ceux dans The Walking Dead ? Elle fronça les sourcils, et baissa les yeux vers le sol. Des zombies. Des sorciers. Des incubes. Ce monde n’avait vraiment rien à voir avec celui dans lequel elle croyait vivre. Et, c’était pour le moins déstabilisant. Vraiment déstabilisant. En fait, elle ne releva même pas la comparaison avec le lépreux. Elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit en grand. Je suis secrétaire de nuit, moi, et je vais être en retard si nous n’y allons pas, cher tueur d’araignée.

Bon, peut-etre que notre énergumène favori devrait laisser cette jeune demoiselle tranquille. Mais il s'amusait trop. Cela faisait près de soixante ans qu'il ne se connaissait plus de limites. Depuis qu'il avait tué son créateur. Il respectait bien entendu quelques règles - seulement parce que la patronne avait l'air d'avoir un sens de l'humour relativement limité. Et qu'il aimait bien ce job. Honnêtement, il n'avait pas grand chose à faire la plupart du temps.

Il fit part de son travail du moment à la jeune vampire. Il faisait presque la conversation pour deux, mais c'était un peu habituel chez lui. Quand ça lui prenait, il pouvait faire des monologues dignes de Cyrano de Bergerac. Ou de Don Diègue dans le Cid. D'ailleurs il pouvait les sortir assez facilement. Il avait eu de nombreuses nuits pour les apprendre. Il aurait fait un bon fantôme de l'opéra. Ou plutôt, un bon vampire du théâtre...

- Ca dépend, ils laissent des petits morceaux derrière eux ?

Il laissa échapper un rire.

- Oh, je ne voudrais pas te mettre en retard. Maintenant que cette vile et perfide araignée a été exterminée, puis-je t'accompagner jusqu'à ton office, en bon chevalier sauveur de ces dames que je suis ?

Un jour peut-être il se comporterait sérieusement. Seulement, il était condamné à ne vivre que la nuit, alors c'était mal barré.

- T'en pense quoi de l'Institut ? Tu débarques un peu non ? Il ne me semble pas t'avoir déjà vu ici. A moins que tu sois discrète - tout mon opposé, je serai suffisamment discret le jour où je retournerais à la poussière, comme mon enfoiré de créateur. Peuh. J'ai jamais compris pourquoi on appelait ça un créateur. Créateur c'est le nom réservé à Dieu... Quoi que. Pas sûr qu'il existe. Mais bon... Oh, désolé, je suis reparti dans un monologue.

C'était totalement voulu. Il voyait bien que Lydia avait du mal avec sa - toute récente - condition. Alors il voulait essayer de la mettre à l'aise. Même si depuis la dernière fois qu'il avait eu à consoler quelqu'un, sa petite soeur, s'il ne se trompait pas , pas mal d'eau avait coulé sous les ponts.

Lydia écoutait le vampire parler, et décidément, elle avait l’impression qu’il s’écoutait parler plus qu’autre chose. Cela ne la dérangeait pas, pas vraiment. Elle songeait qu’il était pratique pour elle de l’écouter parler plutôt que de répondre aux questions, ça oui. Elle finit par lâcher qu’elle allait devoir aller travailler. Juste après une conversation sur les zombies pour le moins étonnante. Suréaliste. La demoiselle n’aurait jamais pensé, avant d’être finalement transformée, que de telles créatures existaient. Maintenant, si elle n’était pas blasée par ce monde, elle aurait cependant préféré ne pas savoir. Ne rien savoir. Du tout. Est-ce qu’il faut que tu tourne absolument tout en dérision ? Elle soupira et désigna la porte. Allons-y, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Je ne peux pas me mettre à dos mon seul tueur d’araignées.

Elle sourit et se dirigea vers la porte avec lui. Je suis là depuis une semaine, répondit-elle avec un sourire crispé. Et, je suis vampire depuis quatre ans. Visiblement, Eugène avait eu le même genre de soucis avec son créateur qu’elle, si elle lisait entre les lignes. C’est une déesse en fait qui a tout créé. ça, c’était l’incube avec qui elle avait vécu qui le lui avait dit. On l’appelle Origine je crois, ajouta-t-elle avec un sourire. Pour une fois qu’elle en savait plus qu’une de ces personnes qui l’entourait ! Elle était contente. Et je crois que je commence à aimer tes monologues, termina-t-elle. Elle s’engagea dans l’escalier et grimpa rapidement les marches jusqu’au premier pour attendre son nouvel ami. Il avait dit qu’il serait son chevalier servant, après tout. Tu en connais d’autres ? Des Vampires ?

Il offrit un grnd sourire à la jeune vampire.

- Absolument tout. Surtout quand c'est sensé être sérieux. Ce qui a le mérite de m'attirer des ennuis la plupart du temps.

Pourquoi s'embêterait-il à rester sérieux ? Ca ne changerait pas les choses. Il la précéda avant de l'interroger sur sa présence à l'Institut, histoire d'assouvir sa curiosité. Créateur, dieu, déesse... Dans le fond, il s'en moquait éperdument. Il n'était pas du genre à chercher un sens à son existence. Ca lui avait passé. Il la suivit en souriant. Elle semblait reprendre du poil de la bête.

- Vraiment ? Ca tombe bien parce que les monologues c'est ma spécialité.

Une de ses spécialités.

- Quelques-uns, oui. Mais je ne les fréquente pas assidûment pour autant. Ils n'ont pas vu d'un très bon oeil que je tue celui qui m'a transformé.

C'était un euphémisme. Mais ça ne lui faisait ni chaud, ni froid. Il s'en moquait totalement que ce soit mal perçu. Il était étonné d'avoir toléré son "créateur" aussi longtemps.

- Crois moi, t'es largement mieux sans cette palanquée de paire de crocs empestant la naphtaline engoncés dans leurs traditions d'un autre âge...

Et en plus, il était poète.

- Honnêtement, ils s'offenseraient d'un pet de rat.

Un jour, il leur sortirait probablement une telle connerie en face. Il en était bien capable... Notamment de le faire sans préméditation, mais de façon spontanée et irréfléchie.

Visiblement, ce « génie » n’avait pas l’air de prendre quoi que ce soit au sérieux. La jeune fille avait l’impression qu’elle ne s’en sortirait jamais avec lui. Et, le pire dans tout ça, c’était que la discrète Lydia avait l’impression que le vampire l’appréciait. Ce qui voulait dire qu’elle allait à nouveau devoir le rencontrer. Plusieurs fois. Et, elle-même n’était pas sûre d’être assez à l’aise pour le moment dans ce nouvel environnement pour pouvoir supporter un clown de ce genre. Elle avait besoin de temps pour s’adapter. Elle avait besoin de temps pour trouver ses repères. Malheureusement, cela n’allait pas être possible s’il était sans arrêt dans ses pattes. Après, il fallait avouer qu’elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds non plus. Lydia savait avoir la langue acérée quand elle le voulait. Je suppose que je vais devoir remplir de nombreux rapports à ton sujet, alors. Après tout, elle était secrétaire et donc celle qui allait devoir taper au propre les rapports. Su elle se mettait à l’apprécier, elle pourrait peut être faire trainer un peu. Dans le cas contraire, ce serait fait à la minute.

Elle finit par lui avouer qu’elle appréciait ses monologues. C’était vrai. Une part d’elle-même trouvait agréable de ne pas avoir à faire la conversation, vraiment. Elle sourit et se mordilla la lèvre inférieure. Elle lui demanda alors s’il connaissait d’autres vampires et elle le contempla avec surprise quand il répondit. Il avait tué son créateur. Elle aussi. Après de nombreux viols et une torture mentale absolument dégueulasse. Elle eut un sourire face aux commentaires de Eugène sur les autres vampires. Il n’y en a pas beaucoup, des « jeunes » comme nous. Enfin, toi t’es quand même vieux à mes yeux. ça, elle n’en démordrait pas. Vraiment pas. Elle grimpa les dernières marches et ils arrivèrent dans le hall. A cette heure-ci il y avait encore de l’animation dans les couloirs et les deux vampires croisèrent quelques étudiants en sortant du bâtiment pour se rendre au Manoir. Lydia avait Soif. Elle avait besoin de sang. Comme chaque matin. Enfin, soir. Pourquoi t’as tué ton créateur, demanda-t-elle en marchant dans le jardin en direction du second bâtiment.

Eugène rit de nouveau.

- Pourtant je n'ai que vingt ans. Depuis soixante-quatorze ans. Mais je n'ai que vingt-ans.

Parfois il se sentait avoir ses quatre-vingt-quatorze ans. Mais pas la plupart du temps. Comme s'il occultait l'information. Qu'importait son âge de toute façon, puisqu'il avait somme toute assez peu de chance de mourir ? Du moins, selon ses calculs. Il avait beau faire le guignol et l'irrévérencieux au possible, il savait toutefois où étaient les limites... Même s'il flirtait très dangereusement avec.

- C'est parce qu'éduquer un jeune vampire, c'est particulièrement casse-couille.

Ou peut être pas. Il s'en moquait. Il ne comptait pas infliger ça à qui que ce soit de toute manière. "Hey, je m'ennuie tout seul, alors je vais foutre en l'air ta vie pour avoir de la compagnie". Très peu pour Eugène.

- Divergence d'opinion.

Il fit un grand sourire à la demoiselle. Le genre de sourire quand même un peu flippant lorsqu'il vient d'un vampire, allez savoir pourquoi.

- Dans le fond, c'était assez stupide. Il n'y a rien de mieux pour attirer l'attention sur soi. Mais je ne lui avais pas juré fidélité ou quoi que ce soit comme autre foutaise. Il m'aurait sans doute tué plutôt que de me laisser faire ce que bon me semble. Alors je l'ai devancé.

Il haussa les épaules d'un geste désinvolte.

- C'est d'autant plus étrange qu'humain, j'aurais répugné à blesser un autre être humain. J'étais pacifique en quelque sorte. Malgré la guerre, note un peu le paradoxe. Sans la guerre, j'aurais sans doute fini libraire ou un truc du genre. J'aurais vieilli avec ma femme, entouré d'une ribambelle de mioches et basta. Au lieu de ça, ma femme est probablement retournée à la poussière. Ainsi qu'une bonne partie de ma famille... Et moi, j'ai toujours vingt ans.

C'était déprimant, d'y repenser.

Allons, on finit toujours par vieillir ! Elle était sûre qu’il ne pouvais pas n’avoir « que » vingt ans. C’était impossible. Totalement idiot. Et, il n’allait tout de même pas essayer de le lui faire croire ! La demoiselle lui fit une grimace avant d’ouvrir des yeux ronds en l’entendant déclarer que, s’il n’y avait que des vieux vampires, c’était parce que éduquer les jeunes était casse couille. Non mais ! C’était pas sérieux ça. Elle haussait un sourcil inquisiteur et elle finit par secouer lentement la tête de droite à gauche. C’est idiot, lâcha-t-elle. ça ne peut pas être ça. Et pourtant…

Et pourtant, cet Eugène était pour le moins un énergumène qui ne s’en laissait pas compter. La jeune femme n’en revenait tout simplement pas. Elle secoua lentement la tête de droite à gauche et elle finit par hausser les épaules. Mais enfin ! On ne tue pas quelqu’un parce qu’on n’est pas d’accord avec lui ! La jeune fille ne quittait plus le vampire des yeux. Bon, elle n’allait pas lui dire qu’elle-même avait tué son créateur parce qu’il la violait tous les jours pour lui rappeler qui était le maitre… ça aurait été stupide. L’explication n’était pas vraiment mieux. Elle secoua la tête de droite à gauche. Tu es vraiment extraordinaire, lança-t-elle. Et pas dans le bon sens du terme. Elle le dépassa dans l’escalier et sortit du bâtiment tout en réfléchissant à ses autres paroles. Tu ne crois pas que ta famille voudrait que tu fasse autre chose de ta vie d’immortel que… des blagues ? Elle leva les yeux vers le ciel et eut un sourire en observant les étoiles. Elle adorait lorsque les nuits étaient claires.

Elle ne sembla pas comprendre quand il lui dit n'avoir que vingt ans. Mais après tout, il était mort, donc... il avait toujours le même âge. Physiquement. Mais c'était une question de point de vue et il doutait que la jeune vampire veuille réellement philosopher sur l'âge d'un vampire.

- C'est pourtant ce que j'ai fait.

Bon, il devait manquer un millier de nuances à son discours. Mais en faisant raccourci, c'était pourtant la seule et unique réponse.

- Quand j'ai été transformé, j'étais un jeune Résistant qui avait fait passer des juifs en zone libre. Et lui un vampire nazi. Je peux te dire que ces dix ans à ses côtés ont été extrêmement longs.

Sa famille. Autant lui donner un bon coup de pieux dans le coeur. Merci beaucoup. Il la suivit en silence.

- C'est une excellente question. Je la leur aurais bien posée, mais ça fait longtemps que les vers ont fini de les déguster, donc je doute avoir une réponse.

Pour le coup son ton était devenu légèrement froid.

- J'ai passé ma vie d'humain a faire ce qu'on attendait de moi. A suivre sagement un chemin tout tracé. A faire passer ce que mon père désirait avoir ce que moi je désirais... Enfin, sauf pour la femme que j'ai épousée... J'étais le fils parfait... et un bon mari, j'imagine... Quoi que ça n'a du coup duré que deux ans, donc je ne puis en être sûr.

Il leva les yeux vers le ciel durant quelques secondes.

- Donc, je n'ai aucune idée de ce qu'ils auraient voulu que je fasse une fois transformé en monstre sanguinaire. Rester à attendre le soleil sans doute. Ou trébucher sur un pieu bien pointu...

Sans doute que non, mais bon. Qui aurait pu prédire leur réaction ? Et il était trop tard pour demander.

- L'idée m'a effleuré l'esprit. Voir une dernière fois le soleil... Mais j'imagine que je suis trop lâche pour réellement le faire.

Autant le dire clairement, ce jeune homme pas si jeune que ça était en train de retourner le cerveau de Lydia. La jeune vampire avait à la fois un millier de questions pour lui, envie de l’embrasser et de le baffer à la fois. Une part d’elle-même était rassurée, au fond. S’il n’y avait pas eu de représailles parce qu’il avait tué son Créateur, elle-même n’en risquait pas des masses. Maintenant, elle ne savait pas ce qu’il avait subit avec un créateur Nazi, mais cela ne pouvait pas être pire que des viols à répétition. Chaque jour. Chaque nuit. Elle revenait à la vie alors qu’il était déjà en train d’utiliser son corps comme un vulgaire jouet. Chaque matin, elle retournait à son état de cadavre en frémissant à la simple pensée des mains de ce pervers narcissique sur son corps. C’était pour ça, qu’elle l’avait tué. C’était pour ça qu’elle s’était enfuie et mise au service d’un puissant incube. Coucher avec lui avait été moins douloureux. Moins étrange. Il lui avait réellement apporté quelque chose d’autre que des meurtres et des viols.

Tu es acide, fit-elle simplement après avoir entendu son histoire. Son côté maternel avait envie de le prendre dans ses bras. Mais, Lydia avait peur de ce qu’un contact physique pourrait faire. Amer, même. Elle se demanda un instant si elle serait dans le même cas, dans quelques siècles. Et puis, elle pinça les lèvres. Il faut que tu réapprenne à vivre. Parce que, s’offrir au soleil, ça doit être foutrement douloureux. D’autant qu’il y aura forcément quelqu’un dans cette école pour te jeter une couverture dessus et te trainer à l’ombre. Il était suicidaire, son ami vampire. Elle l’observa un instant, et puis elle le pointa du doigt. Il faudra qu’on aille au cinéma, tous les deux, un de ces quatre. Elle sourit, le regard pétillant. Je vais t’apprendre à vivre, même si tu es mort.

Acide et amer ? Oh, oui, il devait l'être. C'était toujours le cas quand il pensait à sa famille. Sans qu'il le fasse exprès. Parfois leur absence était trop pesante, surtout si elle était cumulée à le fait de ne pas savoir ce qu'ils étaient devenus, chacun d'entre eux. Et qu'ils l'avaient cru mort, sans qu'il puisse rien y changer. Peut-être y avait-il une sorte de culpabilité de la part du jeune homme... Il faisait un bien étrange vampire.

- Ca n'a jamais eu pour vocation d'être agréable.

Il sourit néanmoins. Qui viendrait le sauver ? Pas grand monde. Il faisait flipper une bonne partie des résidents, pour ne pas dire la grande majorité.

- J'epsère que non, un vampire à moitié grillé, ça doit être encore plus affreux qu'un zombie. Et j'imagine que pour guérir il en faudrait des litres de sang...

Quitte à faire ce genre de choses, autant le faire correctement.

- Mais je te rassure, je compte pas essayer.

Quoi que ce serait une sortie avec panache (de fumée). Mine de rien, Lydia avait soudainement l'air d'avoir repris du poil de la bête... Et de s'inquiéter sérieusement pour le vampire le moins sérieux de l'univers. Il n'avait pas prévu ça, mais c'était une bonne chose.

- D'accord pour le cinéma.

Il sourit.

- Eh bien, j'imagine qu'on est jamais trop vieux pour apprendre...

Il se demandait un peu comment elle comptait lui apprendre à vivre, masi ça ne l'effrayait pas. Ca pouvait même être amusant, non ?

- Si tu le souhaite, je peux t'aider avec la partie sanguinolente de notre nature. Où sur n'importe quel autre sujet qui te poserait problème.

Un prêté pour un rendu. Si elle l'aidait ou simplement, eh bien, n'ayons pas peur de le dire, si elle le supportait, il ne pouvait que lui rendre la pareille. En gentleman à canines.

L’humour noir, ce n’était pas pour elle. Vraiment pas. Parce qu’elle n’était pas du genre à avoir des idées sombres. Le passé était le passé. Il devait rester là où il était, et surtout ne pas être remué. Parce que,si on remuait le passé de la demoiselle, alors ça serait … Sacrément déstabilisant. Sacrément déprimant. Elle ne voulait pas en parler. Vraiment pas. Elle sourit. Et elle secoua un peu la tête pour chasser les idées noires. Lydia était quelqu’un de positif. Vraiment positif. Je ne suis pas sûre qu’on pourrait se retenir de vider la première personne à côté de nous dans un cas comme ça. L’Instinct des vampires, après tout. La demoiselle eut une grimace amusée et elle secoua la tête. Largement assez pour se refaire une jeunesse.

Elle l’invita au cinéma. D’un coup d’un seul. En lui annonçant qu’il allait devoir apprendre à vivre. A ses yeux, Eugène était un vieux débris. Vraiment. Il était décrépit et plein d’idées stupides. Attendez, il avait l’air d’avoir son âge, mais il avait au moins cinquante ans de plus. C’était effrayant. Horrible. Les vampires, c’est quand même sacrément étrange. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il accepte. Aussi lui retourna-t-elle un sourire ravi. Elle ne s’attendait pas non plus à ce qu’il lui propose quoi que ce soit en retour. Elle fronça les sourcils et hocha la tête. Pour l’instant ça va. L’incube m’a appris. Ce… Sa faim ressemble assez à la notre pour que je ne sois un danger pour personne désormais. Elle sourit. Mais, si je sens que je dois craquer, je viendrais te voir. N’importe quel autre problème, hein. Elle pencha la tête sur le côté et elle eut une idée idiote. Tu pourrais devenir mon chasseur attitré d’araignées ?

Génie apprécia la volonté de Lydia de lui remonter le moral. Non. Même, il en fut amusé. Elle voulait essayer de lui apprendre à vivre. C'était gentil de sa part. Il avait parfois tendance à broyer un peu du noir. Le gros désavantage d'être quasi-immortel. ça laisse beaucoup de temps pour ressasser. Il lui proposa donc de l'aider à se maitriser ou qu'importe le type d'aide qu'elle ait besoin en fait. Elle n'avait peut-être besoin que d'un ami aux dents longues qui puisse la rassurer sur le fait qu'un vampire n'est pas forcément un grand méchant aux crocs pointus.

- Tu sais où me trouver.

Il sourit. Avant de rire à sa demande.

- Pourquoi pas. J'essayerais de trouver des trucs pour faire fuir les insectes.

Il suffirait d'aller voir les jardiniers, au pire, d'en réveiller un. Il lui fit un sourire plus malicieux.

- Tu veux bien devenir ma prof de ... hmmm... résurrection attitré ?

Bon, techniquement, ce n'était pas à proprement parler une résurrection, mais il pensait que le terme la ferait au moins sourire. En tout cas, ça le faisait rire un peu.

En effet. Je sais où te trouver. Surtout si j’ai besoin de quelqu’un pour me sauver des énormes araignées sous la douche. Elle lui sourit et lui tira la langue avant de simplement hausser les épaules. Resurrection ? Elle rit et elle secoua la tête de droite gauche. Très bien. Je serais ta prof de résurrection. elle leva les yeux au ciel et elle se hissa sur la pointe des pieds. Elle déposa un baiser sur la joue de son voisin et elle s’éloigna pour aller prendre son poste. A ce matin, si je te croise en allant dormir.

N’ayant plus rien d’autre à dire, elle grimpa les quelques marches qui menaient jusqu’au Manoir et entra dans le hall. Là, elle se dirigea vers le secrétariat où elle s’assit en tailleurs sur sa chaise. Personne n’était là pour lui dire de se tenir correctement, et puis elle ne voyait pas vraiment comment elle pouvait chopper une scoliose en étant… morte.

Sujet Terminé