Aujourd’hui, j’ai pris le temps de me préparer avec soin. Non, je n’ai pas d’entretien avec un beau garçon, je vous vois venir. Les hommes m’indiffèrent totalement depuis la mort de Chris. Il n’y a plus personne qui soit réellement capable de percer la carapace de mon cœur. Aujourd’hui est cependant une journée bien spécifique à mes yeux. Une demoiselle, une asiatique si j’en crois le nom sur mon agenda électronique. Et, l’intitulé laissé par ma secrétaire est pour le moins excitant. Elle veut me parler des phoenixs. De ceux de ma race. Pour moi qui ai pensé toute ma vie être la dernière et ne jamais pouvoir arriver au bout de mon entrainement, pour moi qui les ait cherchés grâce à mes missions aux quatre coins du globe toute ma vie avant de finalement abandonner, car toutes les légendes les disaient disparus… Vraiment, c’est une nouvelle étrange et qui m’emplit de joie. Et d’appréhension en fait. Car, et si j’étais réellement la dernière ? Et si c’était une arnaque ? Et si je mettais trop d’espoir dans cette entrevue ? Peu importe. Dans tous les cas, je suis prête à laisser sa chance à la demoiselle et à découvrir qui je suis, si elle peut me le dire.

Vêtue d’un tailleurs beige de haute couture, d’un chemisier en soie mauve et d’une paire de talons, je me rends à pieds jusqu’à l’immeuble des Chasseurs où je passe mon badge devant le bouton d’appel de l’ascenseur privé qui m’emmène au dernier étage où se trouve mon bureau. Rares sont ceux qui ont accès à cet endroit : Sofia, bien sûr, Nikita, mon bras droit, ma secrétaire, et ceux qu’elle amène jusqu’à moi pour des entretiens, même si la plupart du temps, ces rendez-vous ont lieu dans un petit bureau plus facile d’accès au premier étage. Aujourd’hui, j’ai décidé de m’offrir toute l’intimité de ma tour. Je partage l’étage avec Sofia, mais elle est toujours en vadrouille et jamais présente pour venir me réclamer l’étage. Alors, je considère un peu cet endroit comme mon chez moi.

C’est face à la vue de Paris qui s’étend en face de moi que j’attends que la secrétaire m’annonce que mon rendez-vous est là. Je ne peux vous dire combien de temps j’ai attendu. Trop longtemps et en même temps pas assez. Malgré mon cœur vieux de plusieurs siècles, j’ai eu l’impression d’être une enfant attendant le matin de Noël. Oh, que je donne d’espoirs dans cet entretien. Et, lorsque la voix de ma secrétaire retentit dans l’interphone, mon cœur manque un battement. C’est pourtant en professionnelle habituée à cacher mes émotions que je réponds Fait la monter, Melina. Un sourire sur les lèvres, je sors de mon bureau pour m’avancer vers l’ascenseur. Je regarde les chiffres changer jusqu’à arriver à celui de l’étage. Professionnelle, je prends le dossier tendu par ma secrétaire, et salue la jeune femme qu’elle me présente. Soyez la bienvenue mademoiselle Feng. Suivez-moi je vous prie. Je suis Aylee de Medicis.

Mademoiselle, ne pu-je m’empêcher de rectifier lorsque l’inconnue m’appela « madame ». Le terme n’était certes plus en vigueur en France à cause d’une loi aussi stupide que celle qui n’est jamais appliquée et qui consiste à interdire aux femmes de porter des pantalons, mais pour une vieille peau comme moi, il était hors de question de le renier. Toute ma vie j’ai été une « mademoiselle », et ce n’est pas une loi qui va me retirer ça. Machinalement alors que nous avançons dans le couloir, ma main se porte à mon doigt gauche, où se trouve la bague autrefois offerte par Christopher. Je ne l’enlève que pour aller au combat, et même là je la porte sur moi. Cette blessure reste ouverte dans mon cœur et fait aujourd’hui partie de mes forces : je n’ai besoin de personne pour exister et je fais en sorte de me le prouver un peu plus chaque jour.

Une fois ans mon bureau, je m’installe à ma place, après avoir indiqué à la demoiselle inconnue de prendre place en face de moi. J’ignore ce qu’elle fait là et la laisse donc parler la première. Les phoenix. Voilà donc ce pour quoi elle est là. Mes sourcils se froncent durant quelques secondes. Je ne fais pas grand cas de ma nature, et ne le dit qu’à de rares personnes. J’ai toujours considéré être la dernière, et toujours eu trop peur de ce qu’il allait pouvoir advenir pour tenter de faire des enfants. Et puis, sans bon partenaire, il est compliqué de faire des enfants, non ? Une part de moi est persuadée que j’aurais pu en avoir avec Chris, mais il est mort et enterré désormais. Impossible de le faire revenir d’entre les morts, cette magie n’existe pas. Vous voulez dire qu’il existe réellement des Phoenix ? Je suis relativement surprise de cette découverte. Je pensais réellement être la seule. Mais, si vous recherchez une femelle, cela veut-il dire qu’il n’y en a plus ? Je croise les bras, surprise. Elle parle de rumeurs et de femelle. Je n’aime pas tellement ce terme. Je suis une femme. Une femme puissante, de plus. Pas une génisse qu’on emmène à l’abattoir. Je me mords la lèvre inférieure. Et, comment pensez vous la découvrir, cette femelle ? est-elle la dernière ? J’avais un millier d’autres questions. Je ne pouvais pas lui dire directement que j’étais une phoenix, du moins que c’était ce que Merlin avait supposé à l’époque. Nous avions pensé que j’étais la dernière. La toute dernière. Et, comme cette race était assez secrète, nous ne savions pas comment cela fonctionnait. Je ne suis même pas sûre aujourd’hui, malgré mes années de travail, de savoir utiliser mes dons à leur pleine puissance.

Je me laisse aller dans mon fauteuil, les bras croisés sur ma poitrine. Je ne suis pas certaine de ce que j’entends, ni même ce qu’il se passe réellement. Je me mords la lèvre inférieure et je tente de rester impassible. Je ne suis pas sûre de ce qu’il se passe là. Il y aurait donc d’autres phœnix ? De ma nature véritable, je ne tiens que le nom. Je ne connais pas leurs pouvoirs réels. Je ne sais que ce que j’ai appris sur le tas, avec l’aide de professeurs autant déboussolés que moi. Je suis presque sûre de ne pas connaitre mes pouvoirs à leur maximum. J’aurais besoin de professeurs. J’aurais besoin de Phoenix pour m’apprendre. Je baisse un instant les yeux vers mes genoux, inquiète de ce que cela pourrait signifier. Devrais-je quitter cette vie ? Mon travail ? Mes amis ? Je n’en suis pas réellement sûre. Ce serait un sacré changement.

La question de Mei vient me sortir de mes pensées et je hausse les épaules. Plus ou moins ce que tout le monde en sait, je suppose. Leur nom. Qu’ils ont existé autrefois. Et, qu’ils ont disparut, du jour au lendemain. C’est à peu près tout. Ça, et la raison pour laquelle je porte ce nom de famille. Mais, pour l’heure je n’en dis pas plus. Merlin m’a avoué qu’il y avait une grande lignée en Italie à l’époque où j’ai été trouvée sans mémoire dans la rue. Et, qu’ils étaient la branche royale de Medicis, disparus du jour au lendemain. J’ai pris ce nom sur une intuition il y a quelques années. Parce que ça me semblait juste. J’avoue que je ne suis pas tout à fait sûre de comprendre où vous voulez en venir.

Des histoires… Je baisse les yeux vers mes mains nouées et je prends une grande inspiration. Dans ma poitrine, mon cœur est sur le point d’exploser. Je ne suis donc pas la seule ? Je ne suis pas capable de réaliser ce qu’il se passe. Si je n’avais pas appris, au fil des années, à cacher la moindre de mes émotions, je crois bien que j’aurais fondu en larmes, là tout de suite. J’ai l’impression que mes rêves secrets se réveillent devant moi, que cet isolement dans lequel je me complais depuis tant de temps est finalement terminé. La demoiselle en face de moi me perce donc à jour et je baisse les yeux avant de les relever. La malédiction ? Ca non plus je ne suis pas au courant. Je ne sais rien sur moi-même. La proposition de la jeune femme est tentante, mais je ne sais si je peux accepter. J’ai une vie ici. J’ai des responsabilités. Je ne peux pas partir du jour au lendemain.

Je soupire et me décide à donner quelques indices à la demoiselle. J’ai été trouvée par un humain à l’âge de huit ans, environ, dans les rues d’une cité d’Italie, Florence. Je ne me rappelle de rien avant ce jour. Je baisse les yeux vers mes mains. Mes articulations sont blanches. J’ai rencontré Merlin Chevalier le jour de mes quinze ans, après avoir… mis le feu à une forêt entière le jour où… Ma flamme s’est réveillée. Depuis, je travaille pour lui, et j’en suis arrivée là. Je laisse ma main montrer l’endroit. Je crois que, si je suis prête à donner leur chance à ceux qui m’ont recherchée toutes ces années, je crois que je ne laisserais pas tout tomber non plus. Je ne peux pas. Je… comprenez que tout ceci est un peu soudain pour moi. Je ne suis pas certaine d’arriver à tout comprendre. Je pensais être la seule, la dernière, et vous m’avouez qu’il y en a d’autres. Toute une communauté… je me passe la main dans les cheveux et fais un sourire crispé. Je ne suis pas certaine de pouvoir accepter de les rencontrer tout de suite. Il me faudra me faire à l’idée, avant. Et puis… Et puis j’ai une vie ici. Des responsabilités. Je comprends que vous puissiez vouloir me protéger, me ramener là-bas et… m’isoler, quelque part. L’idée de devenir une poule pondeuse d’une nouvelle génération de phœnix touche mon esprit une seconde. Cependant, voilà quatre cent et quelques années que je vis ici, dans ce monde, que j’y évolue en tout anonymat et en toute sécurité. Je ne peux pas faire une croix sur cette vie non plus. Je soupire et me passe la main dans les cheveux. Vous avez vécu totalement isolés du monde, si je lis entre les lignes. Peut-être est-il temps pour les phœnixq de revenir dans ce monde, de s’y mêler à nouveau. Les légendes que Merlin m’a racontées m’ont fait comprendre que les miens ont été des créatures importantes, puissantes. Les pharaons d’Égypte, les rois de l’Italie… Je n’ai jamais eu l’impression dans ces légendes de voir des gens qui se cachaient à la moindre occasion.

Les explications de la demoiselle me font froncer les sourcils. Lilith est une vraie plaie, et ça je le sais assez pour avoir eu le temps de la combattre en quelques siècles. Je soupire tristement et secoue lentement la tête de droite à gauche. Réellement, c’est étrange cette histoire. Vraiment étrange. Je finis par donner quelques explications à la demoiselle que j’ai en face de moi sur mon existence. Je n’ai réellement pas l’impression d’avoir fait quoi que ce soit d’extraordinaire. Je suis simplement moi, et j’ai simplement vécu toute ma vie sans encombre. Bien sûr, je n’ai jamais réellement dit ce que j’étais, car jusqu’à cet instant, tout le monde pensait que Lizzie, ma clone, et moi, étions jumelles et que nous étions d’une race rare et presque éteinte, sans jamais mettre de nom dessus. Après tout, les races ne sont pas tellement importantes : du moment que je ne suis pas un démon.

Je finis par parler de cette race et donc, je mets le doigt sur quelque chose qui me chiffonne pour le peu. Comment est-il possible qu’ils se soient cachés autant de temps ? Cachés dans un coin. A attendre. Attendre quoi ? De trouver une personne qui acceptera, ou pas, d’être la nouvelle maman de leur race ? Je pianote sur mon bureau durant de longues secondes et je secoue lentement la tête de droite à gauche. C’est n’importe quoi. Se cacher n’est pas la solution. Jamais. Permettez-moi d’en douter. Si vous ne vous étiez pas cachés, je n’aurais pas passé les trois quart de ma vie à chercher ce que j’étais, je n’aurais pas eu peur de mes pouvoirs, et vous m’auriez retrouvée bien plus tôt, parce que tout le monde aurait su ce qu’est un phoenix au lieu d’en faire une race de légende. Mon ton est un peu sec, mais je dois dire que je ne suis pas réellement sûre de pouvoir pardonner cette histoire. Vraiment pas. Toute ma vie je me suis crue seule et j’ai eu du mal à accepter de me lier aux autres par peur de ce que pourrait donner ma descendance. C’est la raison pour laquelle Chris et moi n’avons pas eu d’enfants. Maintenant, il est trop tard. Chris est mort et enterré. Cette histoire me laisse un goût amer dans ma bouche.

Je prends néanmoins la peine de prendre les coordonnées de la demoiselle avant de la laisser sortir de la pièce, perdue. Je baisse les yeux vers le morceau de carton et soupire tristement. Si seulement ils ne s’étaient pas cachés…