Fichu mois de décembre de merde à la con. Je déteste avoir froid. Je hais le froid. Je hais la neige. Je hais le vent et les chants de noël. Et accessoirement je peux pas blairer noël, tout court. N'ayant plus de boulot à l'Institut, ce qui relève déjà du miracle de fin d'année, je décide de quitter cet endroit plein de gosses trop joyeux à mon goût et prend la direction des bas fonds de Paris. Caché dans deux gros manteaux superposés, une écharpe, des gants et un bonnet, je me traîne jusqu'au bar de mon bon ami Cerbère. Lui au moins il sait à quoi sert un chauffage, putain. Une fois à l'intérieure, je retire toutes mes couches de vêtements en trop sous le regard amusé du patron. Je grommelle.

« T'as pas intérêt d'te marrer. »

Il n'ajoute rien, mais je peux presque l'entendre rire dans sa sale petite tête de démon. Je soupire et m'installe au bar. La salle est plutôt vide ce soir, hormis quelques personnes qui comme moi ne sont pas vraiment d'humeur à aller attraper la mort au marché de noël. Je vais rester ici et me bourrer la gueule. Et peut-être même qu'ensuite je vais pioncer sous une table quelconque jusqu'au matin. Dans cet établissement, il fait chaud, je m'y sens bien.

« Un bourbon qui réchauffe bien, steuplait. » Dis-je à Cerbère.

J'ai de la chance, ce soir j'ai du pognon, j'viens de recevoir mon salaire. En fait, puisque j'ai de quoi me faire plaisir, autant le faire jusqu'au bout, non ? Je fais un sourire carnassier et ajoute :

« Laisse la bouteille, Cerby. »

Occupé à descendre sévèrement le niveau du liquide dans la bouteille que Cerby a posé devant moi, je n'accorde que très peu d'importance à la jeune femme qui est entrée dans le bar. Faut dire que j'en ai jamais rien eu à foutre des autres clients alors c'est pas pendant un jour comme celui-là que je vais faire une exception à la règle. Le démon me fait bien un signe pour me prévenir que je suis observé, mais je me contente de lui répondre d'un haussement d'épaules. Je m'en tape. Je veux picoler jusqu'à perdre connaissance et oublier la joie qui semble avoir mis toute la ville sous ecstasy. Moi, j'ai les pieds sur terre et il me faut plus que quelques guirlandes sur un sapin pour oublier la merde dans laquelle on vit. Tous ces gens qui rient et qui chantent, ça me donne envie de vomir. Ils espèrent quoi exactement ? Que toutes les personnes assassinées par les démons et les humains apparaissent dans leurs souliers pendant la nuit ? Aucune chance. Noël est un mythe. Je grommelle pour répondre à la ptite dame qui a décidé de faire la conversation.

« J'sais pas, si vous croisez au hasard une journée qui ne nécessite pas de remontant, faites moi signe. J'en cherche une depuis perpète. »

Croyez le ou pas, là je suis presque aimable et loquace. J'aurais très bien pu lui répondre d'aller voir ailleurs si j'y étais. Mais non. J'ai même pas l'énergie d'envoyer cette bonne-femme surveiller la descente de quelqu'un d'autre. Du moment qu'elle m'empêche pas de liquider ma bouteille, elle peut bien causer de leprechauns, ça me fera ni chaud ni froid.

Quand mon interlocutrice commence à partir dans son délire de journées lumineuses et chaleureuses, autant dire que je me prépare au pire. Je les connait ces gens, qui refusent de voir le verre à moitié vide, qui estiment que le karma existe et que chacun est récompensé s'il est tout mignon et tout gentil dans sa vie. Ces gens, je pourrais les noyer je crois, par pure compassion. Il vaut mieux mettre fin à leur existence avant qu'ils tombent de leur petit nuage et se fassent mal. Mais heureusement, il semblerait que celle-ci n'aura pas besoin que je lui plonge la tête dans une flaque d'eau, car elle se reprend bien vite. Sa mine s'assombrit et pendant un instant je vois une ombre traverser ses yeux. Une ombre que seuls ceux qui connaissent la douleur peuvent avoir au fond d'eux. Soudain, cette fille prend une toute nouvelle importance. Je ne la considère pas encore comme quelqu'un de supportable, mais disons que je la déteste un peu moins. Quand elle décide de trinquer avec moi à cette chienne de vie, j'esquisse un sourire, même s'il est davantage moqueur qu'autre chose.

« Mouais. » Je grogne en liquidant mon verre en même temps qu'elle.

Et là, la jeune femme aurait pu se tirer. On aurait pu en rester là et j'aurais pas eu l'envie incroyable de casser l'ambiance, mais non. Au lieu de ça, elle décide de fourrer son nez dans ce qui la regarde pas. Qu'est-ce-que ça peut lui foutre, ce que je fais dans la vie ? Ce bar regorge de démons et de monstres pas fréquentables, alors c'est rare que les clients aient envie de raconter leur vie. Je fronce les sourcils et sonde ma voisine de bar. Non, je ne crois pas que c'est un démon, je l'aurais senti...alors qu'est-ce-qu'elle veut ? Est-ce un interrogatoire ? Je suis méfiant par nature alors je préfère rester évasif et lui couper envie de chercher plus loin.

« Je fais parler les dames trop curieuses. » Je rétorque en pivotant sur mon tabouret.

La tension est évidente. Est-ce-que cette femme est une ennemie ? Si c'est le cas, je suis déjà en position pour me lever et courir. Mais...si Cerbère l'a servie sans poser de questions, c'est qu'il doit la connaître, non ? Hors mon pote ne laisse jamais les monstres qui créent des problèmes revenir dans son antre. Je me détends donc un peu. Peut-être que je suis simplement trop méfiant et qu'elle cherchait simplement à faire la conversation. Je songe alors à Shae qui m'a régulièrement parlé de mes problèmes d'agressivité. Je soupire. Fort bien, je vais faire un effort et ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

« Je suis concierge. » Dis-je en arrivant presque à ne pas grogner.